CHEVALLEY-SABATIER, LUCIE

Constituée en 1941, l’Entraide Temporaire agit à l’ombre d’une œuvre qui opère au grand jour : Le Service Social d’Aide aux Emigrants, œuvre privée reconnue d’utilité publique, créée à l’initiative de notabilités et qui avant la guerre tente d’apporter une aide aux familles de fusillés et de victimes de la répression.

L’E.T a pour présidente Lucie Chevalley. Fille du pasteur Auguste Sabatier, elle est née en 1882. Elle obtient non sans mal un doctorat en droit et préside le Conseil International des Femmes. Elle suit ensuite son mari en Egypte et au Liban où elle est sensibilisée par l’afflux des réfugiés en provenance d’Europe Centrale et de Russie. De retour en France, elle participe à la création du Service Social d’Aide aux Emigrants. (S.S.A.E.) qu’elle préside entre 1932 et 1964. Lucie Chevalley a également créé en 1928 un service de protection des femmes qui travaillent dans l’agriculture, composé d’assistantes sociales.[2]

L’Entraide Temporaire est fondée avec le concours de militantes catholiques, protestantes et juives. Née de cette association entre différents notables, l’Entraide Temporaire se consacre à partir de 1942 au sauvetage des enfants juifs privés de leurs parents. Elle est une œuvre privée, clandestine et multiconfessionnelle. L’E.T. ne possède aucune vitrine légale et agit dans deux secteurs : celui des adultes, dont la responsabilité incombe à Madame Béchard, épouse du directeur du centre de recherche de l’agence Kuhlmann à Paris et recommandée par le Pasteur Bertrand, responsable des protestants en zone nord. Le secteur des enfants est confié à Denise Milhaud, qui rejoint l’Entraide Temporaire en mars 1941.

Source : Les enfants cachés pendant la seconde guerre mondiale aux sources d’une histoire clandestine

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L’Entraide temporaire cherche en particulier à extraire les enfants des maisons de l’Ugif qui s’apparentent à de véritables souricières. Certains de ses membres tels Fred et Denise Milhaud travaillent d’ailleurs à l’Ugif, des postes stratégiques pour eux. Hélène Berr, connue aujourd’hui grâce à son journal publié en 2008, est alors assistante sociale bénévole du service des internés de l’Ugif. Elle devient secrétaire de Denise Milhaud à l’Entraide temporaire, avant d’être arrêtée et déportée avec ses parents en mars 1944. Elle est assassinée en avril 1945 au camp de concentration de Bergen-Belsen. Afin de répertorier secrètement les dépenses effectuées pour chaque enfant, l’Entraide temporaire insère ces informations dans deux volumes – déjà partiellement remplis – du « Grand livre » de 1921 d’une association intitulée « Union française pour le sauvetage de l’enfance »68. Les dates de naissance et de placement des enfants dans des familles nourricières sont décalées de vingt ans et certains mots codés sont utilisés : « Dax » désigne l’Entraide temporaire, « Biarritz » signifie Drancy et « Bayonne » la déportation. Les membres de l’Entraide temporaire inscrivent parfois leur nom réel, parfois des pseudonymes : « Madame Cheval » pour Lucie Chevalley- Sabatier.

Entretenant volontairement une certaine opacité, Lucie Chevalley-Sabatier s’appuie sur son activité officielle à la tête du S[ervice] S[ocial d’] A[ux] E[migrants] pour développer ses actions interdites. Elle organise cette filière de sauvetage et trouve des fonds grâce à ses réseaux professionnels et à ses déplacements en zone libre. C’est aussi une frontière symbolique que cette femme franchit, entre deux espaces opposés : le champ légal reconnu par Vichy et le champ clandestin qui doit demeurer secret. Elle cultive une perméabilité entre les deux, le flou entretenu contribuant au succès du dispositif.

Source : Lucie Chevalley-Sabatier. Un Ausweis providentiel de Diane Galbaud du Fort