CAZAMIAN, LOUIS

Lire la biographie de Louis Cazamian dans Les professeurs de la faculté des lettres de Paris – Dictionnaire biographique 1909-1939

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Lettre écrite par Madeleine Louise Cazamian à Elizabeth Wheeler Manwaring, Wellesley College.
Source : Wellesley College

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Article sur la traduction du poème « Prométhée délivré » de Shelley par Louis  Cazamian.
Source :  Comoedia, 4 mars 1944
 

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Article paru dans Le Monde du 18 septembre 1965, rédigé par Robert Escarpit, agrégatif d’anglais à la Sorbonne avec Hélène, au sujet de leur professeur Louis Cazamian :


LOUIS CAZAMIAN Par ROBERT ESCARPIT

Dans la retraite et le silence, Louis Cazamian vient de s’éteindre à l’âge de quatre-vingt-huit ans (1). Avec lui, disparaît le dernier de mes maîtres de la Sorbonne. Maître, il l’a été pour moi du moment où, pour la première fois en 1938, j’ai entendu un de ses cours, jusqu’à l’ultime lettre qu’il m’écrivit vingt-deux ans plus tard d’une écriture qui avait la même netteté, la même précision appliquée que son style d’enseignement.

Il n’est probablement pas un angliciste au monde dont les idées n’ont été directement ou indirectement influencées par ses travaux, et notamment par la fameuse Histoire de la littérature anglaise, qu’il écrivit en collaboration avec Émile Legouis et qui, près d’un demi-siècle après sa publication, demeure un instrument de travail majeur. Lorsque, à trente et un ans, il vint occuper à la Sorbonne la chaire de littérature anglaise, il était le benjamin de la génération de professeurs – celle de Legouis, d’Angellier, de Cestre. – qui devait donner aux études de lettres étrangères une nouvelle dimension et une nouvelle rigueur.

De douze ans plus jeune que Joseph Texte, le fondateur de la littérature comparée, mort prématurément en 1900, Louis Cazamian n’était pas un comparatiste. Ayant reçu de Chevrillon l’héritage tainien, il considérait que la littérature d’un pays se définit par  » un réseau de convergences nationales « . Dès 1903. il donnait une brillante application de ces idées dans sa thèse sur le Roman social en Angleterre de 1830 à 1850, travail que prolonge l’œuvre monumentale de sa femme, Madeleine Cazamian, sur le Roman et les Idées en Angleterre.

Mais cet ancien normalien, philosophe de formation, compensait cette conviction positiviste par un vigoureux et juvénile tempérament romantique. Séduit par les doctrines de l’action et de la volonté, il balançait sa vision des hommes et des choses entre les exigences de la raison et les enthousiasmes du cœur. Rien ne s’applique mieux au personnage de Louis Cazamian que la définition donnée par Steele de l’Anglais de son temps :  » Tête dure et cœur tendre. « 

Ses enthousiasmes étaient parfois imprudents, mais il était le plus généreux et le plus bienveillant des hommes. J’en témoigne pour avoir été son étudiant à l’époque difficile de l’occupation. Sa pensée exigeante ne négligeait aucun détail et refusait la facilité du langage commun. Mais malheur à qui prétendait  » faire du Cazamian  » dans une leçon ou un article !

Cet homme, qui a parlé de l’humour mieux que quiconque, passait pour n’avoir pas le sens de l’humour. C’est en fait la marque du vrai humoriste, et j’en veux donner en hommage à sa mémoire deux exemples qui sont peut-être les meilleures leçons que j’aie reçues de lui.

Me rendant compte dans le privé d’une dissertation, il me reprocha le déballage d’idées que j’avais cru devoir y faire.  » Une idée par paragraphe, me dit-il, devrait vous suffire. Une idée par dissertation serait encore mieux.  » Puis il réfléchit et, hochant gravement son crâne chauve en un geste familier, il ajouta :  » Moi, j’en suis à une idée par carrière. « 

Et ceci enfin. Ayant assisté à ma soutenance de thèse – il avait alors soixante-quinze ans, – il me dit en sortant de l’amphithéâtre :  » Tous ces vieux bonzes m’agacent.  » Les vieux bonzes étaient les membres du jury, dont le plus âgé avait au moins dix ans de moins que lui.

Il n’avait pas entièrement raison, naturellement, et il le savait bien, mais le plus étrange est qu’à considérer sa propre verdeur, il n’avait pas entièrement tort.