– CESURE –

Hélène interrompt son journal en novembre 1942 jusqu’au 25 août 1943. Un autre hiatus a lieu du 25 août au 10 octobre 1943. La correspondance entre Odile Neuberger et Hélène permet de combler certains blancs et d’éclaircir certaines références faites plus tard dans le journal. Les passages cités sont extraits de Correspondance 1934-1944.

Odile à Hélène

12 décembre 1942

  • Bertrand Schwartz, frère de Daniel Schwarz, habite maintenant à Toulouse

23 février 1943

  • Odile semble indiquer que dans sa lettre du 15 février (non retrouvée) Hélène lui a parlé de la rafle de la rue Sainte-Catherine qui a eu lieu à Lyon le 9 février :

« Ma petite Mieux-Aimée chérie.
En revenant tout à l’heure de Montauban, j’ai trouvé ta carte du 15 Fév. Je te réponds tout de suite, car je suis bouleversée par tout ce que tu me racontes. Dans mon petit trou de province, je n’avais aucune idée de ce qui se passait. Ici ce n’est pas la même chose.  »

26 février 1943

  • Bertrand Schwartz est parti rejoindre les Forces Françaises Libres (il sera incorporé dans la division Leclerc)

Hélène à Odile

27 février 1943

  • Odile a confié un cadeau pour Hélène à son oncle André Baur venu en visite. Hélène le découvre sur son bureau rue de la Bienfaisance :

« En arrivant ce matin, j’ai aperçu sur mon bureau un paquet enveloppé de papier marron. (…) Juste à ce moment Mme HORVILLEUR entrait, et elle m’a dit que c’était ton oncle qui l’avait rapporté. »

  • L’accès au jardin du Luxembourg lui est interdit :

« Il faisait un temps radieux et froid, et au cours de mes pérégrinations du début de l’après-midi, j’ai eu vraiment de la peine de ne pouvoir entrer au Luxembourg dont je longeais la grille. Le Luxembourg représente quelque chose de merveilleux pour moi, presque le jardin du grand Meaulnes – Heureusement qu’un agent m’a lancé une parole si réconfortante et si inattendue que j’en ai éclaté de rire. »

Grille du jardin du Luxembourg. Eté 2022.
Lest We Forget

  • Hélène explique son attachement à la poésie de Keats :

« J’ai le bonheur de trouver dans KEATS un poète que je peux lire en ce moment, parce qu’il ne m’éloigne pas de la réalité, et que je n’ai aucune arrière-pensée en le lisant. Il a été durant les deux ou trois années où il a écrit (il est mort à 23 ans) poursuivi par le problème de la souffrance humaine. Ses premiers poèmes sont des merveilles inspirées par la jouissance parfaite du beau. Mais en un an il a beaucoup souffert et beaucoup appris – et il a passé du principe du beau au principe de la beauté en toutes choses, c’est-à-dire à une acceptation du bonheur et du malheur. »

  • Emploi du temps hebdomadaire d’Hélène :

« Tous les matins je vais rue de la Bienfaisance où je fais un travail assez routinier (classement etc. …) Mon après-midi est libre. Le Lundi je suis bibliothécaire à l’Institut d’Anglais. Le Mardi je prends une leçon d’Allemand et je vois bonne-maman. Le Mercredi je prends une leçon de violon ; le Vendredi, je vais à la Sorbonne et à la musique d’ensemble. Le Samedi, je fais de la musique à la maison. Cela c’est mon emploi du temps théorique. Il a l’air de me laisser du temps, alors qu’en réalité je n’en ai pas du tout. Il y a quinze jours, lorsque je t’écrivais cette carte du 15, j’ai couru tout le temps, tu sais pourquoi. »

17 mars 1943

  • Hélène travaille dans les locaux du camp de Drancy :

« Je viens de passer une journée entière à Dravance [ Drancy], où je suis allée travailler. J’y retournerai ces jours-ci du matin jusqu’au soir. Quand j’y suis, il y a réellement des choses que je n’arrive pas à comprendre. Je n’arrive pas à absorber, à admettre la conception de cette organisation rationnelle fondée sur l’injustice. Je me dis tout le temps lorsque je lève le nez de mon travail, et que je regarde par la fenêtre ce qui se passe en face (et ce n’est pas beau ; il y avait deux ou trois ex-co-villageois d’Yvonne [venus de Marseille] cet été qui se livraient à une poursuite de vermine effroyable), je me dis tout le temps : « Pourquoi ? Pourquoi ? ». Extérieurement la vie dans ce « bureau » est une routine ; mais quand on pense à ce qui se passe derrière, et à la chose sur quoi elle est basée ! Par exemple tous les soirs à cinq heures on attend l’arrivée – Tu devines ce que c’est –La fille avec qui je suis venue m’a dit en regardant par la fenêtre : « on finit par être cynique ». Je lui ai dit avec violence : « Oh non alors, pas moi ! ». Je crois que le jour où je pourrai contempler cela sans être révoltée, je serai désespérée, car alors j’aurais perdu la partie noble de l’âme humaine. »

22 mars 1943

  • Description de ses tâches à Drancy :

« Voici la cinquième journée que je passe à D. toute entière. Je tiens toujours très bon. Le travail que je fais n’est pas dur ; il s’agit de découper des tickets de textile. C’est légèrement abrutissant. »

« Les surveillants généraux du lycée [les gardes] sont très gentils – quoique parfois j’ai des sursauts en pensant à ce qu’ils représentent. J’ai beaucoup parlé avec le secrétaire de l’un d’eux qui est licencié ès lettres – et qui a échoué là ! Je croyais rêver. Il partage exactement mes opinions sur tout, et on peut parler très librement avec lui. J’étais réellement stupéfaite. »

  • Référence au départ le 23 mars du convoi 52 avec à son bord de nombreux juifs raflés à Marseille entre le 22 et le 24 janvier 1943 :

« Nous attendons le retour de France et d’Eliane LABAUNE* qui ne resteront ici que quarante-huit heures, c’est désolant. Mais nous ne pourrons pas les retenir. »

*Eliane était le mot de code pour « Juif français » et Labaune pour « Marseille ». Ce dernier est certainement une référence à Labeaume, le village à côté de Marseille où habite Yvonne Berr et sa famille.

Le Petit Marseillais du 24 janvier 1943

26 mars 1943

  • Hélène parle de son 22ème anniversaire :

« Demain j’ai 22 ans. Quelle catastrophe ! Oui, je me rappelle le 27 mars 1941. Il me semble que c’était hier. Il n’y a plus eu de vrai plaisir depuis ce jour – c’était la dernière réunion heureuse ici – Mais l’année prochaine nous serons à nouveau ensemble. Rose * va venir nous voir avant ta fête ; elle me l’a fait dire, et je l’attends avec impatience. »

* Rose est le nom de code pour l’Angleterre.

5 avril 1943

  • Hélène a dessiné un dieu Lare comme Odile et elle avaient l’habitude d’en dessiner sur leurs cahiers d’écolières. Les deux jeunes femmes continuent cette tradition dans leur courrier :

« J’ai un peu perdu la main, n’est-ce pas ? L’autre jour j’en ai gravé un machinalement sur la table de D[rancy] où je travaille. C’est désormais mon trade- mark. »

Source : Archives Familiales | A. Hyafil
  • Hélène mentionne le décès de Claude Lyon-Caen, femme de François Lyon-Caen :

« Un jour vient de passer, car j’étais trop fatiguée hier soir pour écrire. Ce soir je suis rentrée tout à fait « flop » d’une séance de musique avec Mr LYON-CAEN (!) qui a la vie si triste (tu sais que la jeune femme, la femme de l’ainé des fils, a fini par mourir en laissant trois enfants) qu’il nous a demandé de venir jouer avec lui. »

Le Figaro du 6 décembre 1935
  • La propriété du Vivier à Aubergenville est menacée d’être à nouveau occupée :

« Sais-tu que le Vivier est menacé de réoccupation – juste au moment où il ferait si bon y être ; j’y suis allée jeudi dernier, avec Simon, notre petit ami. Nous avons cueilli des violettes à foison : tous les arbres fruitiers sont en fleurs, et les coucous commencent à dresser leurs clochettes sur la pelouse. »

  • Les Berr n’ont plus de poste téléphonique et utilisent celui des Lévy :

« Encore une interruption d’un jour. Et je pensais pouvoir t’écrire tranquillement, mais Madame Jourdan vient de « me » téléphoner de passer chez elle (les guillemets expliquent la position du téléphone – c’est celui des parents de Jacqueline).»

  • Hélène décrit Jean Morawiecki :

« Tu sais, je ne le connais pas beaucoup non plus – Ne trouves-tu pas cela drôle ? Au fond, il y avait toutes les raisons pour que nous ne nous rencontrions jamais. Toutes, sauf celle qui a fait que nous nous sommes rencontrés. Je crois au mystère. Malgré nos origines si différentes, il me semble que nous avons été élevés exactement de la même façon. Il a lu exactement les mêmes livres d’enfance que moi, et nous avons exactement les mêmes goûts. Je voudrais que tu le connaisses ; d’abord tu ne t’ennuierais pas, parce qu’il est aussi blagueur que Daniel (ensemble, je me demande ce qu’ils donneraient). Son père a été consul général à Turin, à Barcelone et pour finir à La Havane ; ils ont beaucoup voyagé. Le père est d’origine polonaise, de très grande famille. La mère (que j’ai vue deux fois) est très belle mais très intimidante. »

19 avril 1943

  • La famille Berr est de plus en plus seule comme les célébrations de Pâques le rappellent à Hélène :

« Auparavant, je veux te dire combien je pense à toi en cette veille de Pâques. Je suis allée ce soir au Temple et c’est bien triste de voir comme il reste peu de monde. »

« (…) j’ai repris ma bicyclette (advienne que pourra) et je pars le matin par le Quai d’Orsay – je ne pouvais pas m’imaginer la joie que cela me procurerait. Ce matin, après l’orage, la terre sentait si bon, les arbres embaumaient tellement que j’étais envahie d’une espèce de joie triste que j’aime beaucoup. »

  • Son cousin Jean Schneider le frère de Nicole, a rejoint les Forces Françaises Libres :

« Nous n’avons pas de nouvelles de Jean SCHNEIDER qui est à Tunis. C’est bien angoissant. »

3 mai 1943

  • Hélène emmène des enfants confiés à l’UGIF à Aubergenville :

« Je suis allée deux fois à Aubergenville, – la première fois, Jeudi, j’ai emmené Charles ; et pour cela, il a passé deux nuits à la maison – il est transformé depuis son séjour à la campagne chez une dame qui l’élève comme Miss CHILD nous élevait – il est probable qu’il avait un bon fonds (il est enfant unique, et ses parents semblent l’avoir élevé avec beaucoup de soin) – il sait tout faire, tricoter, mettre la table, et jouer aux échecs (à neuf ans). (…) J’y suis retournée Samedi avec Simon, mon autre petit ami, qui est adorable. Mais il pleuvait à torrents. Nous avons cueilli des genets sous la pluie, mais nous ne sommes restés dehors qu’une heure.

Winnifred Child était la nanny anglaise des enfants Berr.

Il pourrait s’agir de Charles Cukierman ou Cukerman dont le nom apparaît dans le registre Neuilly. Nous n’avons néanmoins trouvé aucune autre trace de cet enfant. Ce manque d’information signifie peut-être qu’Hélène a réussi à le placer en sécurité dans une famille et qu’il a survécu.

Simon est peut-être Simon Goldfarb.

  • Hélène est rémunérée pour son poste à la bibliothèque de l’Institut :

« Aujourd’hui j’ai touché 487 frs (!) – montant de mon traitement de bibliothécaire ; et je me suis empressée d’aller en dépenser la moitié en livres. »

17 mai 1943

  • Hélène décrit sa solitude causée par le départ de ses proches :

« Je me sentais très « lonely » brusquement. Car ici, au fond, ma solitude est très grande ; je n’ai plus d’amis, de vrais, ni surtout Yvonne, Jacques, Jean (SCHNEIDER). Jean (l’autre) ne m’écrit pas très souvent, et je n’ai personne à qui parler. Tes lettres sont pour moi quelque chose de si grand que lorsque je reste une semaine sans en recevoir, je ressens une impression de vide. »

  • Elle annonce les fiançailles de Denise Berr et François Job et décrit le sentiment de bonheur que cela répand sur son quotidien :

« Je t’écris ce soir pour t’annoncer une grande nouvelle : les fiançailles de Denise avec François Job. Peut-être as-tu, comme tout le monde, prévu la chose, et pourtant elle ne date que de trois semaines. Elle voulait ne le dire à personne ; mais naturellement c’est le secret de Polichinelle, et maintenant on est obligé de le dire. Cela donne un petit air de fête à la maison, car les lettres et les fleurs commencent à affluer. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis contente : j’adore François, et je crois que nous nous entendrons toujours merveilleusement : je ne pouvais pas rêver de beau-frère pareil. Il ressemble beaucoup à Daniel ; il a le même genre d’esprit ; je t’assure qu’ils ne s’ennuieront pas tous les deux. Et puis je leur suis infiniment reconnaissante pour cette bouffée de bonheur, et d’air printanier qu’ils ont introduit dans l’atmosphère étouffante de notre vie ; cela me paraît presque – sûrement et même – un prélude à la renaissance de tout ce qui va venir – une promesse de liberté. »

  • Denise et François lui ont offert deux livres dont elle reparlera dans son journal :

« (…) devine ce que j’ai trouvé dans mon lit samedi soir, comme cadeau de François et Denise : à mes pieds Alice in Wonderland, et sous mon oreiller les sonnets de Shakespeare. Je suis ravie de cette double découverte. »

26 mai 1943

  • Les fiançailles d’une ancienne camarade de classe du cours Boutet de Monvel confirment le fossé qui sépare Hélène des autres :

« Samedi, je suis allée aux fiançailles de Solange BRICARD ; je suis restée dix minutes, et cela a été un supplice. Tu imagines que ce n’est pas très agréable d’aller dans le monde en ce moment : on est obligé d’ignorer que les gens vous regardent avec des yeux ronds, et qu’ils ont les yeux attirés par Mrs Star [l’étoile jaune] pendant qu’ils vous parlent. »

  • Hélène écrit que Jean Morawiecki se trouve dans un camp de travail :

« (…) j’ai l’impression que Jean est complètement abruti par la vie de forçat qu’il mène – travail matériel et manque de nourriture. Quand je pense au garçon qu’il était l’année dernière (et qu’il reste au fond) je suis stupéfaite. J’ai été d’abord presqu’injuste. Heureusement j’ai réfléchi et j’ai reconnu que j’avais tort, et qu’il était malheureux, et inconsciemment accablé par cette vie matérielle. Alors je l’ai excusé, et je me suis promis d’être plus compréhensive. En sortant de son chantier, il sera sans doute expédié tout de suite chez Louis [Allemagne]. »

7 juin 1943

  • Hélène travaille toujours dans les locaux de Drancy :

« Je rentre de ma journée abrutissante à Drd [Drancy] et j’ai eu un mal fou à me traîner de mon lit où je m’étais affalée pour lire ta lettre jusqu’à la table.»

  • Personne n’a de nouvelle de Jean Schneider et sa famille :

« Toujours aucune nouvelle de Jean, Claudine et Olivier depuis le 1er Avril – c’est bien long. »

  • Sa relation avec André Bay | Sparkenbroke s’étiole :

« J’ai bien revu l’autre jour SPARKENBROKE, à qui j’avais quelque chose à demander : j’ai été non pas déçue, mais déprimée par mon entrevue. Il est toujours aussi charmant comme artiste et comme ami, mais ses idées sur la situation et sur son rôle dans la société sont désolantes (au sens propre). Il accepte tout, et ne pense qu’à vivre tranquille et élever ses enfants (il a une petite fille qu’il adore). Il n’a plus de vie en lui. Il m’a complètement désemparée pendant un jour. Je crois que s’il voyait ce que nous voyons, il se secouerait. Le mieux à faire est – comme je l’ai toujours pensé – de conserver intact le souvenir merveilleux des quelques mois où je l’ai connu, et qui correspondait à l’éveil de ma vie personnelle. J’ai toujours senti que c’était une espèce de fleur rare et très belle qu’il ne fallait pas trop toucher. »

  • Jean doit être transféré dans un camp de travail du STO situé en France :

« Il a été démobilisé « la semaine dernière, et est requis, comme sursitaire, pour le service obligatoire du Travail dans le Midi.»

  • Hélène a assisté à l’arrivée à Drancy de Juifs de Lyon « 

« Hier à D. j’ai assisté à l’arrivée d’un groupe de tes compatriotes, et c’était absolument « hurrowsky ». Louis * était parmi eux, et très insolent – il prenait des photos. L’atmosphère est à nouveau plus chargée. Que de choses nous aurons vues ! »

Odile se trouvait à Lyon à ce moment-là. * Louis est le nom de code pour les Allemands.

18 juin 1943

  • Hélène rend visite à des internés de la caserne de Saint-Denis devenue Frontstalag 220 et destiné aux civils britanniques, américains et des pays du Commonwealth :

« Mais je rentrais de St Denis où j’étais allée voir un filleul (ta mère a dû te raconter – j’espérais parler anglais avec lui, mais il parle Français comme moi, outre le russe – il est russe d’origine – l’hébreu, l’italien, l’espagnol et l’allemand) – et je n’étais pas dans mon cher quartier latin. »

  • Jean Morawiecki travaille comme interprète pour les Allemands :

« J’ai reçu hier soir une longue lettre de Jean, me racontant sous forme de journal les péripéties de films policiers de son voyage – les alternatives d’espoir de rejoindre Rose,* et sa fixation finale à Tarascon. Il travaille sous les ordres de Louis [les Allemands], et pour lui – il sert d’interprète – les conditions matérielles – logement, discipline, ravitaillement en eau surtout – sont fort peu agréables. Mais c’est encore mieux que le grand voyage. »

  • Rose est le nom de code pour l’Angleterre. Le grand voyage signifie partir travailler en Allemagne pour le STO.

4 juillet 1943

  • Odile lui a rendu visite :

« Avant que ne s’efface l’impression encore si vivante de cette merveilleuse journée, avant qu’elle ne devienne souvenir, avant aussi que notre intimité animée du souffle radieux de la réalité, ne se transforme à nouveau en celle qui règne dans les lettres (elle n’est pas moins belle, elle est autre) – je veux encore te dire quelque chose – je ne parle plus, mais je ne t’écris pas encore – Ta présence est toute dans cette chambre ; je te revois assise sur le lit, et j’entends notre conversation. »

« Lundi, Bonne-Maman n’était pas bien (Mardi, elle était très mal, et ne nous reconnaissait pas – mais hier elle allait un peu mieux). »

11 juillet 1943

  • Hélène semble faire référence aux internés de Drancy que les Allemands libéraient pour qu’ils aillent chercher et ramènent des Juifs cachés :

« L’atmosphère dans la famille d’Eliane [les Juifs] est ce que tu supposes – c’est à n’y plus tenir. Louis [les Allemands] la bat et la tourmente tout le temps, ou le fait faire par les frères de la petite [les Juifs]- ce qui est encore pire – la famille est désolée, et ne sait que faire – quel conseil donner ? Si on leur dit de ne pas y aller, cela retombera sur l’enfant. »

« Bonne Maman ne se remet pas bien ; il y a simplement des jours où elle est moins mal que d’autres ; mais physiquement, et moralement, elle est très changée. »

  • Prise de conscience de la solitude qu’annonce le mariage, et donc le départ de l’appartement familial, de Denise :

« Figure-toi qu’hier soir j’ai eu une crise de chagrin parce que j’ai réalisé brusquement ce que le mariage de Denise allait signifier pour moi. Cela a éclaté pendant qu’elle jouait des bribes du Carnaval ; aussi y étais-tu intimement mêlée. J’ai réalisé que le piano serait muet, que la maison serait vide. Car, bien que nous ne nous voyons pas dans la journée, la conscience que nous nous retrouverons à midi, le soir, que nous bavarderons à la cuisine le soir après le dîner – tout cela me soutient souvent au milieu de la journée. Denise est tellement pleine de vie, tellement normale et « saine », qu’elle me donne mon équilibre. Et il y a plus : sa présence ici, et notre union indissoluble était la seule chose « cosy » et stable qui nous restait dans cette tourmente qui a peu à peu coupé les branches de notre joyeux arbre depuis trois ans. Il y avait une espèce de pacte muet entre nous – un pacte pour maintenir coûte que coûte un élément de jeunesse (j’espère que tu comprends ce mot ; il implique tout ce qu’il y a de beau, de neuf, d’espoir dans la jeunesse – on ne peut pas s’empêcher d’en avoir conscience) dans cette obscurité. De plus nous avons vécu les heures les plus tragiques ensemble; nous avons ri ensemble au milieu de la tourmente – ce qui a rendu le pacte encore plus indissoluble. »

20 juillet 1943

« Dimanche matin, bonne-maman avait eu deux syncopes, et nous avons été très inquiets. Lundi soir, elle a eu brusquement une grosse poussée de fièvre, 40°5, avec arrêt du pouls ; le docteur appelé par Auntie Ger, l’a crue perdue (Tout ceci se passait à notre insu, puisque après 8 h, tout peut arriver sans que nous sachions rien). Hier matin, j’ai passé la matinée auprès de son lit, en lui tenant la main ; elle était très faible, mais elle me reconnaissait bien, et cela me faisait plaisir d’être là. Elle était si calme et douce. D’ailleurs, depuis cette crise, toute son agitation, ses gestes inconscients (elle croyait tout le temps tricoter et nous demandait à chaque instant de finir son ouvrage), son énervement ont fait place à un calme et à une douceur extraordinaire. Lundi, on aurait dit qu’elle revenait de très, très loin, de l’ « undiscovered land » de Hamlet. »

  • Hélène annonce la déportation de Cécile Lehmann le 18 juillet 1943 par le convoi 57 :

« Tu te souviens de mon amie Cécile, dont je t’ai parlé ici ? Il est à peu près sûr qu’elle est partie avant-hier. On ne peut pas être sûr, parce qu’il n’y a plus de moyens de communication. L’incertitude est atroce. Si c’est vrai (comme sa mère en est persuadée) quel calvaire pour cette femme ! Je la vois demain et j’espère que j’aurai obtenu une précision quelconque. »

  • Louise Ortcatberro, la cuisinière des Berr, a été remplacée par Marguerite (nom ?)

30 juillet 1943

  • Hélène parle de l’arrestation de ses collègues de la rue de la Bienfaisance et de celle d’André Baur :

« Ceci est peut-être en effet la dernière lettre que tu recevras de moi… pour quelques temps. Tu as bien failli ne pas la recevoir. Ce matin tout mon bureau est parti, et il a fallu un hasard inouï (j’allais chercher Charles pour le mener à la gare car il partait en vacances) pour que je ne m’y trouve pas. Je ne savais rien de précis, je n’avais entendu que des bruits à l’hospice cet après-midi ; mais je viens d’aller chez Françoise B. [Bernheim] ma grande amie – et j’ai appris qu’elle était à D.[Drancy] – Pourquoi faut-il que le hasard ait fait que je ne sois pas avec elle ? Je voulais justement t’écrire, car je vois que tu as dû avoir beaucoup de peine, pour Oncle A.[André Baur] j’ai reçu hier ta lettre « sale » (pas tant que ça), et tu ne paraissais pas au courant. »

Françoise au début des années 1940.
Source : Archives familiales | F. Findlay

  • Elle continue la lettre le lendemain soir :

« Aujourd’hui j’ai couru partout, sans résultat – mais je ne pouvais pas rester ici. Je suis allée voir le père de Françoise, la mère de Mme SCHWARTZ. Il fait une chaleur écrasante (20° à 7 h 30 le matin). Je n’ai toujours pas de nouvelles de Jean – et je ne peux même pas lui écrire – que se passe-t-il ? »

André Bernheim (1879-1966) demeurant 81 rue de Lille, Paris (7è), marchand de biens et collectionneur d’art, arrêté le 12 décembre 1941, lors de la « rafle des notables », interné à Compiègne puis à Drancy avant d’être relâché. Père de Françoise Bernheim.

Source : Archives familiales | F. Findlay

5 août 1943

  • Hélène apporte des précisions sur la rafle du 30 juillet au siège de la rue de la Bienfaisance :

« Tu me demandes des précisions : il n’y a que moi qui aie été frôlée par le danger immédiat dans la famille, car c’est sur le bâtiment où je travaille que le coup a porté – c’était à l’heure de la sortie du personnel – ainsi tous ceux avec qui j’ai travaillé depuis un an ont été atteints, et il ne reste plus rien, rien du bureau ; tout a été nettoyé, emporté – Jusqu’à présent dix ont pu être sauvés, pas de mes compagnons – Mais par eux j’ai eu des détails sur ce qui s’est passé. »

  • Hélène travaille dorénavant à la pouponnière de Neuilly régie par l’UGIF :

« Je me suis fait affecter au centre de Denise, en partie pour la remplacer pendant « ses vacances de noces » (pauvre Denise ! quel mariage) en partie parce qu’il y a des trous considérables dans le personnel, et parce qu’il faut que je fasse quelque chose. J’y suis allée hier pour que Denise m’explique : c’était une oasis de paix – malgré l’absence du patron qui ne reviendra pas (et cela se comprend) ; les petits-enfants sont tellement rassurants et tellement gentils que l’atmosphère est bien moins lourde là (quoique le danger soit le même). »

  • Hélène a reçu la visite de la mère de Jean Morawiecki qui lui a dit que son fils était parti pour l’Afrique du Nord :

« (…) lundi la mère de Jean est venue m’apporter les nouvelles qu’elle avait : elle m’a raconté en détail son odyssée – mon esprit était tellement envahi par des émotions diverses – surprise de cette visite, choc de cette brusque pluie de nouvelleset influence des récents événements – que j’ai eu du mal à la suivre. Enfin la conclusion est la suivante : il est allé là où étaient Bertrand, et Michel W. (ton cousin), mais elle ne sait pas s’il est bien arrivé. Elle est terriblement angoissée. »

Bertrand Schwartz et Michel Weill sont partis en Afrique du Nord rejoindre les FFL

  • Le téléphone des Lévy, que les Berr utilisaient, a été coupé

16 août 1943

  • Hélène décrit le mariage civil puis religieux de Denise et François le 12 août :

« Denise et François étaient charmants ; François avait un chapeau pour la première fois de sa vie, et il en était très fier ; Denise avait l’air d’une poupée, dans une très jolie robe à grandes fleurs multicolores et un grand béret de velours bleu ; personne n’a entendu son « oui », et personne n’est sûr de son consentement. Le maire a fait un petit discours très court, avec beaucoup de « distingués » et « honorés » (la perte de mémoire qui est une infirmité bien répandue le faisait hésiter légèrement, ce qui me donnait le trac pour lui). »

Source : Mémorial de la Shoah/coll. Mariette Job
  • Elle a repris le poste de Denise à la pouponnière de l’UGIF à Neuilly :

« Pour le moment j’ai repris le poste de Denise à Neuilly ; j’emmène les enfants dans les hôpitaux (…). Les enfants sont si attachants, et le travail si absorbant que je n’ai pas le temps de trop penser à ce que je faisais il y a seulement 3 semaines et à la disparition de tous mes amis. »

  • Jean Morawiecki est arrivé en Espagne d’où il est supposé rejoindre l’Afrique du Nord.
  • Hélène juge sévèrement Raymond Ducas dont la fuite de Drancy a été le prétexte de l’internement d’André Baur, son cousin, à Drancy alors que, dans sa lettre du 10 août, Odile l’excusait plutôt :

« J’ai essayé de juger le cas de Raymond D.. Le plus impartialement possible : s’il n’avait pas su ce qui était arrivé après son geste, il aurait été excusable. Mais il l’a su, et il a su la menace qui pesait sur une femme et des enfants – et là il faut reconnaître qu’il n’a pas été un homme. Evidemment, il ne faut pas juger ceux qui sont là-bas de la même façon que les autres. »

Le 21 juillet 1943, André Baur, qui avait protesté auprès de Vichy sur les violences commises par les SS au camp de Drancy, répond à une convocation du chef du camp, Aloïs Brunner. Il est retenu sous prétexte de l’évasion le même jour de son cousin Raymond Ducas. Baur demandera au garde des Sceaux d’intervenir auprès des autorités helvétiques pour obtenir l’extradition de Ducas. En vain. En représailles, Brunner ordonnera l’arrestation d’Odette Baur et leurs quatre enfants ainsi que d’une cinquantaine de membres de l’UGIF et quatre autres dirigeants (Israelowicz, Armand Katz, Marcel Lévy, et Raymond Raoul Lambert, dirigeant de zone sud arrêté le 21 août à Marseille). Tous seront déportés à Auschwitz le 17 décembre 1943 par le convoi n°63.

29 août 1943

  • Le départ de Denise est difficile à supporter pour Hélène :

« Ici la vie est semblable ; ou plutôt, non, car elle a beaucoup changé depuis le mariage de Denise. Il y a un grand vide dans la maison ; et sur nous trois pèse une espèce de tension qui provient sans doute du fait que nous nous resserrons encore un peu plus. Denise m’était indispensable ; c’était elle l’élément d’équilibre et de normalité de la maison ; quand par exemple, je menaçais de sombrer dans une crise de cafard (souvent je me perds et je n’arrive pas à sortir des limites de mon « moi », je sens mon moi d’une manière intolérable) – je n’avais qu’à aller la trouver, et j’étais remise d’aplomb. Et puis elle me donnait confiance en moi-même. C’était si « cosy » de la trouver en rentrant, d‘entendre sa voix joyeuse, de bavarder avec elle le soir ! Ce sont les soirées qui sont longues maintenant. Mais assez de doléances. »

  • Dans le cadre de son travail à l’UGIF, Hélène emmène des enfants à leurs rendez-vous médicaux :

« Je ne vais pas très souvent chez [Denise et François], parce que je suis trop occupée ; mon travail est assez irrégulier ; mais il y a des jours comme jeudi où par exemple j’emmène une petite chez le dentiste, et où, en rentrant à midi à Neuilly, on m’annonce qu’il y a un enfant à aller chercher à l’hôpital Claude BERNARD – c’est au diable vert – j’ai téléphoné pour me décommander Rue Raynouard où je devais déjeuner, et j’ai déjeuné en 1⁄4 d’heure là ; une heure 1⁄2 de trajet, et retour en portant une petite fille de 26 mois, hurlant de quitter l’infirmière, sous une pluie battante, avec un parapluie et un gros sac en bandoulière. C’était pittoresque ! Il n’y avait plus qu’une question qui importait : gagner le mètre suivant. »

La petite fille de 26 mois est Danielle Boruchewitz. D’après le registre de Neuilly, Danielle et sa soeur Nicole ont été confiées à l’UGIF par leur grande soeur Madeleine. Tout semble indiquer qu’elles ont survécu.

Source : Archives du Centre Marguerite, Yivo Institute for Jewish Research (MK490_45-251 | folder 64.10)

« Je me suis arrêtée un moment pour mettre sur le feu de la confiture de mures que j’ai cueillies à Aubergenville avec Nicole. La semaine dernière, j’en ai envoyé un pot à Françoise à D. Elle m’a écrit une lettre adorable, et j’étais si contente de l’avoir reçue ; c’est extraordinaire ce qu’elle me manque : nous nous entendions parfaitement bien. Maintenant j’ai un grand vide sans elle. Elle me dit qu’elle est ravie que je ne sois pas avec elles, mais qu’elle pense souvent aux bons fous- rires que nous piquerions ensemble, en réunissant nos « sense of humour ». (…) Heureusement que je peux envoyer des « petites saletés » de temps en temps à Françoise. Elle est épatante aux dires de tous, et cela ne m’étonne pas. Mais j’ai beaucoup de peine d’être séparée d’elle. »

Françoise au début des années 1940.
Source : Archives familiales | F. Findlay

  • Aloïs Brunner, chef du camp de Drancy, est absent :

« B. est parti en vacances pour 15 jours ; je me demande s’il va revenir. »

Aloïs Brunner
  • Jean a été fait prisonnier en Espagne et un ami de Raymond Berr va tenter de le faire libérer :

« J’ai appris par la mère de Jean Mardi dernier qu’il était dans un endroit comme D. [Drancy] chez Carmen*. Je suis allée voir avec Papa l’un de ses amis qui par chance allait chez elle [Espagne] pour affaires : il a dit qu’il s’occuperait de lui. »

*Carmen est le code pour Espagne.

3 septembre 1943

  • Un prisonnier britannique du camp de Saint-Denis lui propose de l’épouser pour la protéger des lois antisémites :

« Après je suis allée à St Denis ; quand je dis que nous vivons une vie de roman, ce n’est pas assez fort. Il y a du tragique à profusion, un peu de comique, souvent de l’héroïque, et tout simplement de l’extraordinaire. Je ne sais dans quelle catégorie ranger l’offre que mon filleul (pas le Rose [anglais] pur) a faîte de m’épouser pour me protéger – celui de Françoise était en train de faire des démarches pour cela (pour elle) – mais il était trop tard et de toutes façons, c’est impossible ; cela ne sert à rien. Je ne pense pas aux conséquences comiques que ce geste pourrait avoir dans l’avenir. Le sense of humour n’a pas de place ici. Mais je trouve cela touchant, – Il m’a fait promettre de bien réfléchir ! »

« En rentrant, je suis allée chez Françoise, et c’est la femme de chambre qui m’a ouvert : immédiatement sa figure s’est contractée, et avant que ses larmes aient coulé, j’ai compris.(…) François, le frère de Bernard* [sic], était de la partie aussi – il était à D. depuis 8 jours – cela fait trois enfants sans père ni mère. »

François Lyon-Caen (1905-1944)
https://memoire.avocatparis.org/39-45/guerre-39-45/avocats-morts-pour-la-france/117-l/544-lyon-caen-francois-1905-1944

*Erreur de transcription: dans sa lettre manuscrite, Hélène a bien écrit Gérard

  • Hélène assiste aux bombardements anglo-américains :

« Je t’écris assourdie par le canon ; nous sommes en pleine alerte. Tous les jours à peu près il y en a une. Hier soir à 7 h. Je t’écrivais ceci il y a trois minutes. Maintenant le canon est fini ; et il y a des volutes et des nuages de fumée dans le ciel en face (c’est juste à côté de chez Denise, je suppose chez Citroën). C’est affolant ces bombardements. Une minute et tout est fait. »

L’avenue de Versailles où habitent
Denise et François a bien été
touchée

8 septembre 1943

  • Hélène exprime son dilemme vis-à-vis de l’UGIF :

« (…) Françoise me suppliait d’arrêter mon travail, et ses dernières paroles avant de partir ont été paraît-il pour me faire transmettre le même message : c’est ce qui m’a fait réfléchir. Il est évident que les employés de l’affaire [UGIF] sont de plus en plus mal vus de Louis [les Allemands], et qu’un jour ou l’autre, il les mettra à la porte (à sa manière, qui est le contraire d’une expulsion). Samedi il y a encore eu une scène. Mais si la sœur d’Yvonne [Hélène] donnait sa démission, il y aurait 2 obstacles : 1° sa responsabilité vis-à-vis des enfants ; il faudrait d’abord que ceux-ci soient en sécurité – après on pourrait voir – mais on ne peut pas les abandonner. 2°) à partir du moment où elle quittait l’affaire, ni elle ni ses parents ne pourraient continuer à habiter avec Mr RECLUS [dans leur appartement] – ce qui est assez compliqué car elle préférerait ne pas quitter la région. »

  • Jean-Paul Lefebvre donne de ses nouvelles mais Hélène ne sait pas où il est :

« Tu me demandes des nouvelles de J.P. LEFEBVRE ? Il va toujours bien ; Nicole me communique de ses nouvelles assez régulièrement. Je ne sais pas où il est, mais il paraît avoir bon moral, malgré les alertes fréquentes qui troublent sa tranquillité relative. »

16 septembre 1943

  • La propriété d’Aubergenville est occupée par les Allemands :

« Je t’écris maintenant Dimanche, car nous ne sommes pas allés à Aubergenville qui est de nouveau occupé depuis le début de la semaine. C’est ennuyeux pour Papa, car c’était sa grande joie. Mais, il ne dit rien. »

  • Hélène assiste de sa fenêtre aux bombardements du 15 septembre :

« Mercredi, j’ai assisté de la fenêtre au bombardement. C’était impressionnant – j’étais en train d’admirer (on ne peut s’en empêcher) la lente majesté avec laquelle les escadrilles de 21 avions, tout illuminés dans le ciel bleu du couchant, traversaient au-dessus de nous, au milieu des flocons blancs de la D.C.A. Et moi qui n’aime pas la guerre, j’étais malgré moi saisie en les regardant. Le ciel si bleu avait l’air encore plus lointain et profond au-dessus d’eux – et ils continuaient à passer, impassibles dans le ciel auquel ils appartenaient. Mais cette beauté était une tromperie – ce n’était pas une beauté qui a droit de cité parmi les autres – car soudain j’ai aperçu le revers de la médaille : une énorme colonne de fumée noire juste en face qui se déployait peu à peu dans le ciel, si bien qu’en dix minutes on ne voyait plus la Tour Eiffel de chez nous, et que tout le bleu du ciel avait disparu. »

Le Petit Parisien du 16 septembre 1943

25 septembre 1943

  • Hélène a des nouvelles de Jean par l’intermédiaire de l’ami de Raymond Berr :

« Je veux te dire maintenant que j’ai eu des nouvelles de Jean par un ami de Papa (un très « chic type », ancien aviateur, très droit et sympathique, que j’étais allée voir il y a un mois, et qui par un hasard extraordinaire partait pour chez Jean le surlendemain). Il n’a eu des nouvelles que 3 jours avant son retour ici, et n’a pu faire grand-chose, enfin il l’a retrouvé dans un trou qui ressemble à celui où était Michel W. [Weill] et qu’il quittera ces jours-ci, il ira rejoindre le frère de Nicole [ Afrique du Nord] probablement le 15. Il était en bonne santé, et savait qu’on s’occupait de lui. Je voudrai bien recevoir un mot de lui, et pouvoir lui écrire. »

  • Simone Berr et sa mère Claire ont quitté Paris et habitent chez Yvonne :

« Nous avons eu des nouvelles vivantes d’Yvonne par notre ami NOSLEY qui est allé passer cinq jours chez elle. Annie LÉAUTÉ devait y aller, mais cela ne s’est pas arrangé ; surtout depuis que ma tante Claire et Simone se sont installées chez elle. »

  • Hélène envoie une photo à Odile :

« P.S. je t’envoie une photo prise à Auber il y a 3 semaines. Mon genou est bandé des suites d’une alerte (je suis tombée de bicyclette en voulant rentrer trop vite pour éviter les messieurs de la Défense Passive. Ce n’était rien, mais cela fait bien dans le tableau). »

Hélène et son genou bandé
Source : Mémorial de la Shoah/coll. Mariette Job

4 octobre 1943

  • Hélène emmène 5 enfants et Anna Neishtat à une consultation ORL préalable à l’opération des végétations dont elle parle dans son journal le 11 octobre :

« J’ai trouvé ta lettre ce matin en rentrant d’une expédition laborieuse qui consistait à emmener à l’autre bout de Paris, à l’Hôpital Rothschild cinq enfants (dont 1 ne marchait que difficilement) et une adulte – j’ai eu du mal à les maintenir sur mes genoux pendant qu’on leur examinait la bouche, car le premier ayant commencé à hurler, les quatre autres ont pensé que c’était leur devoir – par contre, lors de la prise de sang (plus douloureuse certainement) il n’y a eu qu’un minimum de musique vocale. »

Les cinq enfants sont Mireille Roth, Edouard Wajnryb, Raphaël Bendersky, Michel Westreich et André Kane.

Source : Archives du Centre Marguerite, Yivo Institute for Jewish Research
(MK490_45-251 | folder 64.10)
  • L’Allemand qui occupait la propriété d’Aubergenville s’est suicidé :

« Le fils de Louis [Allemagne] qui couchait dans la chambre des parents à Auber s’est suicidé la semaine dernière dans des circonstances obscures (pour nous), et plutôt tragiques, d’après les détails que l’on a pu recueillir. »