– 1944 –

La pagination indiquée se réfère aux deux éditions du Journal d’Hélène Berr. Dans l’ordre : [Tallandier | Points].

La majorité des photographies montrant Paris sous l’Occupation sont l’oeuvre du très controversé André Zucca. « En août 1941, il devient correspondant du magazine de propagande allemand nazi Signal, obtenant ainsi un laisser passer, des pellicules noir et blanc et la très rare pellicule Agfacolor. En octobre 44, il est arrêté puis relâché, les poursuites contre lui étant abandonnées en 1945. » Malgré tout, nous avons fait le choix d’utiliser son travail comme un document historique qui nous permet d’entrevoir ce Paris dont parle Hélène dans son journal.


JANVIER

Dimanche soir, 10 janvier 1944
[ Tallandier page 255 | Points page 271 ]

« Ceux qui la termineront, et dont l’effroyable danger m’apparaît plus clairement depuis que Gérard nous en a parlé. »

Il s’agit probablement d’Odette Pomey* née Baille (1902-1999) épouse de Jacques Pomey (1897-1971), polytechnicien, ingénieur des Mines, Chef du service des ateliers de traitement thermique puis directeur de laboratoire des usines Renault.

*Erreur de transcription : Hélène a écrit Mme Pomey

Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job

« Aujourd’hui, chez Breynaert, François a raconté l’histoire suivante qui lui vient d’un de ses camarades (…) Un train de déportés (réfractaires) s’arrête à Châlons.»

Jacques Breynaert (1915-1998) demeurant probablement au 143, avenue de Suffren, Paris (7è), fils de François Breynaert, 1881-1962, ancien élève de Polytechnique et de l’Ecole des Mines, vice-président de la Compagnie des phosphates et chemins de fers de Gafsa (Tunisie). Jacques étudie à H.E.C. et deviendra directeur commercial chez Saint-Gobain.

[ page 257 | 273 ]


« Vendredi, chez Mme Milhaud, nous avons discuté la question.»

Mardi soir, 11 janvier 1944
[ page 257 | 273 ]

« André Boutelleau est venu à la bibliothèque bavarder pendant deux heures et me proposer la traduction de la Defence of Poetry (…) »

André Bay (Sparkenbroke) dont le père adoptif est Jacques Boutelleau.

[ page 258 | 274 ]

Sarah Schouker née Farray-Lévi (1906-1990) demeurant au 33, rue Poissonnière, Paris (2è). Mariée à Israël « Charles » Schouker (1905-1942), chirurgien- dentiste, arrêté le 12 décembre 1941 lors de la rafle dite des Notables, interné à Compiègne et déporté par le convoi 1 parti le 27 mars 1942. Sarah s’engage auprès de l’UGIF en tant qu’infirmière à Neuilly. Leur fils, Michel, né en 1933, est réfugié à Bordeaux où il est raflé le 10 janvier 1944 par les hommes de Maurice Papon. A son arrivée à Drancy, l’enfant est reconnu par
son voisin, et père de son meilleur ami, Joseph Deléon. Ce dernier, étant turc musulman, bénéficie d’un statut privilégié dont il fait bénéficier Michel. A la veille d’être déporté par le convoi 68, parti le 10 février 1944, Michel est libéré grâce au courage de Sarah qui s’est présentée à Drancy.

[ page 259 | 275 ]

« L’arrestation d’une jeune femme que j’avais vue chez elle : Mme Carcassonne, avec son mari et son fils de 11 ans. »

Suzanne Carcassonne née Léobold dit Léopold, 1904-1943, demeurant 40, rue Condorcet, Paris (9è). Arrêtée avec son mari Emile, 1893-1943, et leur fils Michel, 1932-1943, internés à Drancy le 9 décembre 1943 et déportés par le convoi 63 parti le 17 décembre 1943.

« La soeur d’une autre dame vue chez elle (également arrêtée par la suite), arrêtée avec un bébé de 8 mois et un de 4 ans.»

Il s’agit peut-être d’Irène Lévy née Weill, 1907-1943, mariée à David Hector Lévy (1898-1943), domiciliés au 40, rue Rochechouart, Paris (9è). Ils ont deux enfants, Gérard né le 17 mars 1939 et Michèle née le 28 avril 1943. La famille est arrêtée le 14 décembre 1943 et déportée le 17 décembre 1943 par le convoi 63.

« Boulevard de la Gare, il y a des rayons de tout, ameublement, couture, mercerie, orfèvrerie. »

Annexe de Drancy, le camp parisien, dit «Austerlitz » est situé au 43 quai de la Gare (13è). Les internés y trient, nettoient, réparent objets et meubles, pillés dans le cadre de l’Opération Meuble. « Entre 1942 et 1944, cette opération mise en œuvre par le service allemand de la Dienststelle Westen conduira au pillage systématique du contenu de près de 40 000 appartements habités par des familles juives parisiennes. Il s’agit officiellement d’envoyer le butin en Allemagne et de le distribuer aux civils qui s’installent dans les nouveaux territoires du Reich conquis à l’Est. »

Jeudi 13 janvier
[ page 260 | 276 ]

« (…) je voulais parler à Josette à propos de ma traduction »

Josette Perquel

« Mais cela ne m’étonne pas, tout est horrible aujourd’hui », a répondu A.

Albus, le concierge de l’Institut.

« Mme P. m’a entretenue de ses projets de vengeance sanguinaire sur les lâches et les dégoûtants personnages qui dénoncent (…) »

Probablement Viola Pesson-Depret, catholique, épouse du directeur de la banque Morgan, philanthrope, membre du Service social d’aide aux émigrants (SSAE) co-fondé par Lucie Chevallier puis de l’Entraide Temporaire. Elle participe à l’organisation du sauvetage des enfants de l’UGIF.

[ page 261 | 276 ]

« Après le déjeuner, je suis allée à Neuilly chercher deux enfants pour les emmener à Julien-Lacroix. »

Un dispensaire de l’UGIF se trouve rue Julien-Lacroix (20è).

« Le petit Schouker a été arrêté à Bordeaux lors d’une rafle générale : on a arrêté tous les juifs de Bordeaux, à une heure et demie du matin. »

[ page 261 | 277 ]

« La direction de l’UGIF, Mlle Ferreyra (je voyais toujours son nom quand j’étais au Service des internés), s’est suicidée. »

Germaine Ferreyra (1892-1944) demeurant au 34, rue Henri-IV, Bordeaux. Directrice du 8ème Bureau de Bienfaisance de la municipalité de Bordeaux avant la guerre, en juillet 1942 elle devient déléguée de l’UGIF dans la même ville. Elle se suicide le 20 décembre 1943 devant les policiers venus l’arrêter pendant une rafle qui a fait 132 victimes juives.

« Il est arrivé à Neuilly un garçon de 4 ans dont on ne sait rien sauf son nom, qu’on a glissé dans les bras d’un couple turc « libéré » pour l’hospice hier. Il est très mignon, sautille partout, mais ne peut rien dire de Drancy. »

Antonia Lehner née Tanszik
Source : Mémorial de la Shoah

« Je pense à la famille du Dr Seidengart : grands-parents, belle-fille et petite fille de 4 ans, habitant à côté, père, prisonnier de guerre. »

André Seidengart (1911-1993) demeurant au 19, rue Cernuschi, Paris (17è). Médecin, marié à Simone née Cerf (1911-1942) avec qui il a une fille, Elisabeth dite Betty (1940-1943). André est prisonnier de guerre. Dès 1940, Simone se réfugie à Sainte-Marie, près de Saint-Nazaire, où elle donne naissance à Betty et où ses parents, Léon Cerf (1882-1942) et Aimée née Herse (1883-1943) la rejoignent. Le 17 juillet 1942, ils sont tous les quatre raflés. Simone est déportée par le convoi 8 du 20 juillet 1942. Léon, qui était dans le même convoi, est descendu à Drancy.. Il est déporté par le convoi 35. Betty et sa grand-mère sont envoyées au camp de La Lande près de Tours, puis à Drancy pour être transférées à Beaune-la-Rolande et enfin de retour à Drancy le 12 juillet 1943. Elles sont déportées par le convoi 60 du 7 octobre 1943 et gazées à leur arrivée. André Seidengart est libéré du camp de prisonnier en août 1943 en qualité de médecin de stalag et oflag. Il en ramène des formulaires et des empreintes de cachets. Présenté à Maurice Brener, il entre à l’OJC
(Organisation Juive de Combat) et, en liaison avec Maurice Loebenberg (Cachoud), responsable du service des faux papiers, il rédige des diagnostics et des certificats permettant de procéder à des rapatriements sanitaires, qu’il signe du nom des médecins allemands qu’il a connus. Des hommes recherchés comme Juifs ou réfractaires peuvent ainsi prendre une identité de prisonnier rapatrié et se faire établir les pièces d’identité officielles leur permettant d’échapper aux arrestations et à la déportation. (Source : shoahpresquile.com)

Simone et Betty Seidengart

17.1.44
[ page 263 | 278 ]

« À Neuilly, nous avons un petit garçon arrivé nul ne sait comment, mis dans les bras de Turcs libérés de Drancy – il est adorable ; il embrasse sans cesse. Il a 4 ans et paraît très débrouillard. Il est très bien élevé ; l’autre jour, il est venu trouver l’une des berceuses : « Mademoiselle, si cela ne vous ennuie pas, est-ce que vous voulez faire ma chambre ? » Il paraît qu’il pleure le soir en se couchant en appelant sa mère. Où est-elle ? au camp, déportée ? Nul ne sait. »

Il s’agit du petit Gérald Portalier, né le 23 septembre 1938 et résidant au 8 rue de Milan (9ème), qui a été arrêté avec sa grand-mère Antonia Lehner née Tanszik le 26 novembre 1943. Gérald est libéré le 12 janvier 1944 en tant que « 1/2 juif ». Les deux Turcs libérés ce jour-là aussi sont probablement Esther Menahem née Albagly, domiciliée au 100 blvd Richard Lenoir (11ème) et Jacques Albagli, domicilié au 40 rue de Chabrol (10ème). Antonia Lehner est admise à l’infirmerie le 11 février. Elle est déportée le 13 avril par le convoi 71. Le 2 juillet 1944, Gérald est repris par Cécile Irwin née Plutot (1901-1991), concierge au 10 rue de Milan, qui était munie d’une décharge de sa mère . Il est mort à Beauvais en 2014.

« Vu André Bay, très gentil, introduced [présentée] à M. Catin (sic) et Marie-Louise Reuge. »

Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job

Mardi 18 [ janvier ]
[ page 263 | 279 ]

« Odile Varlot (sic) a été arrêtée il y a deux mois, lorsqu’elle allait porter à des enfants, cachés par elle dans un couvent (…) »

Odile Varlet est le nom de résistante d’Huguette Wahl (1914-1943) demeurant au 4, avenue Gilly, Nice. Assistante sociale au centre médico-social de l’OSE de Marseille. Lorsque la zone libre est envahie par les Allemands, elle organise les convois d’enfants vers la Suisse. En août 1943, elle rejoint le réseau de Moussa Abadi à Nice. Arrêtée par la Gestapo fin octobre 1943, elle est transférée à Drancy d’où elle est déportée par le convoi 62 le 20 novembre 1943. A l’arrivée, elle refuse de se séparer des enfants dont elle s’était occupée pendant le voyage et meurt gazée.

*Erreur de transcription

Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job

Samedi 22 janvier
[ page 263 | 279 ]


« Ouvrir et présenter la carte : une chance sur cent. »

La carte d’identité avec le tampon Juif / Juive ou la carte de légitimation de l’UGIF. Dans les deux cas, la carte accroît les chance d’arrestation.

La loi du 11 décembre 1942 impose l’ajout « JUIF » au tampon
rouge sur les titres d’identité des Israélites français et étrangers ».

Mercredi 24 janvier 1944
[ page 264 | 280 ]


« Hier matin, j’ai conduit le petit Gérard à Mme Carp. »

Le petit Gérard (sic) est probablement Gérald Portalier dont Hélène parle les 13 et 17 janvier.

Les Carpentier sont les concierges des établissement Kuhlmann.

[ page 265 | 280 ]

« (…) puis chez Mme B., où je n’ai pas trouvé Mme Milhaud.»

Il s’agit peut-être d’ Odette Béchard née Ausset (1900-1999) épouse de Fernand Béchard (1900-1978), directeur du Centre de recherche des Etablissements Kuhlmann et administrateur à l’Union française pour le Sauvetage de l’Enfance. Protestante, elle entre en contact avec Lucie Chevalley par l’intermédiaire de l’Oratoire du Louvre en juin 1942 et devient membre active de l’Entraide Temporaire. C’est par son intermédiaire que les Berr entrent dans ce réseau de sauvetage d’enfants juifs. Odette et Fernand Béchard reçoivent le titre de Justes parmi les nations en 1988.

[ page 265 | 281 ]

« Les Robert Neveux sont venus dîner. Ils ont parlé de Jean, leur frère, qui est venu en permission dans le rutilant uniforme allemand (…) »

Robert Neveux (1904-1969) demeurant au 2, rue Edmond-About, Paris (16è), directeur adjoint aux Ets. Kuhlmann, marié à la fille de Mme Agache, Suzanne Agache (1907-1958). Son frère Jean Neveux (1919-1998) rejoint la LVF puis la Waffen-SS avant de devenir Père Marie-Thibaud à l’abbaye de Citeaux.


« Ce matin, en me levant, pneu de la grand-mère de Danielle. »

Mélanie Weill, mère de Thérèse Schwartz et grand-mère des enfants de cette dernière, Pierre et Danielle.

« Saint-Joseph a dû renvoyer ces jours-ci une femme paralytique qu’il hébergeait, et les « juifs » n’ont pas droit à l’ambulance (…) »

Hôpital Saint-Joseph, 185 Rue Raymond Losserand (14è).

« Une vieille dame impotente convoquée ces jours-ci avec son infirmière à la Kommandantur a été accueillie par ces mots : « Vous (l’infirmière) asseyez-vous – la juive, restez debout ! » (pendant deux heures). »

La Kommandantur
(angle de l’avenue de l’Opéra et la rue du 4-Septembre)

Photographie d’André Zucca

[ page 266 | 282 ]

« Denise s’était inscrite rue Narcisse-Diaz pour la naissance du bébé. (…) »

Denise devait accoucher à la Clinique Mirabeau, 7 rue Narcisse-Diaz (16è). C’est finalement Mlle Lesieur, sage-femme, qui l’assistera clandestinement lors de l’accouchement de Nadine.

Mot de Denise Schwartz née Berr
Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job

« Mme Biéder me raconte ce matin que sa fille avait perdu un carré imprimé, auquel elle tenait, car c’était un cadeau de son père. »

Rose Biéder et ses enfants habitent demeurant au 9, faubourg Saint-Denis, Paris (10è).

Lundi 31 janvier 1944
[ page 267 | 282 ]

« Hier, Georges est venu déjeuner comme d’habitude. J’avais emmené de Neuilly Raphaël et Dédé. »

Georges Dreyfus, grand-oncle paternel d’Hélène.

Raphaël Benderski et André Kane.

[ page 267 | 283 ]

« Suzanne est toute seule, sans rien (sans même son sac à main) ; Marianne, Édith, la femme de François, et la vieille Mme Horace Weill ont été prises ; Emmeline heureusement n’était pas là, Jean-Paul non plus ; le petit Bernard a été sauvé aussi. »

« Début février 1944, la police allemande fait irruption dans un appartement du rez-de-chaussée d’un immeuble de l’avenue Loisy à Caluire et Cuire, près de Lyon. Ils viennent arrêter les occupantes qui ont sans doute été dénoncées. Suzanne a le temps de s’enfuir par la fenêtre de la cuisine. Emmeline est absente. Elle est allée visiter la famille de son fiancé, Gilbert Lévy, réfugiée en Savoie. Marianne, sa sœur jumelle, est présente. Emmeline, leur grand-mère et mère de Maurice, est dans la chambre du fond. Edith, la femme de François, a juste le temps de dire au petit Bernard de se rendre chez la voisine. Les Allemands la laissent faire.

Emmeline Weill-Raynal, 79 ans, Edith, la femme de son petit-fils François, et Marianne, sa petite-fille, sont dirigées vers Drancy. Elles prendront le convoi n°68 qui part le 10 février 1944 vers Auschwitz. Aucune n’est revenue.

Suzanne Weill-Raynal née Dreyfus (1890-1981) demeurant au 26, rue Vavin, Paris (6è). Soeur de Georges Dreyfus. Epouse de Maurice Weill- Raynal. Mère de François, Jean-Paul et des jumelles Marianne et Emmeline.

Edith Weill-Raynal née Kravetz (1907-1944) épouse de François Weill-Raynal (1913-1940). Ils ont un fils, Bernard né en 1937. Arrêtée à Caluire avec la grand-mère de son mari et sa belle-sœur Marianne , elle est déportée par le convoi 68 parti de Drancy, le 10 février 1944.

Emmeline Weill née Raynal (1865-1944) Militante socialiste, épouse d’Horace Weill (1857-1937), ingénieur des ponts qui a participé, avec Fulgence Bienvenüe, à la création du métro parisien. Mère de Maurice (1886-1942) et d’Etienne Weill-Raynal (1887-1982). Arrêtée avec sa petite-fille Marianne et Edith, la femme de son petit-fils François, à Caluire. Déportée par le convoi 68 parti de Drancy le 10 février 1944.

Maurice Weill-Raynal (1886-1942) demeurant au 26, rue Vavin, Paris (6è). Avocat à la cour de Paris, arrêté en 1941, il est déporté de Drancy par le convoi 36 du 23 septembre 1942.

Maurice Weill-Raynal (1er à g.) sur la photo prise à Drancy par les Allemands
(de dr. à g. ) Pierre Masse, Edmond Bloch et Gaston Crémieux dont Hélène parle aussi

[ page 268 | 284 ]

« Je citais il n’y a pas longtemps, par goût littéraire, la phrase d’une pièce russe que j’avais trouvée dans Le Duel : « Nous nous reposerons, oncle Vania, nous nous reposerons. »

31 janvier 1944
[ page 269 | 284 ]


« Françoise est venue hier me rapporter la réponse pour Danielle. »

Probablement Françoise Pineau pour cacher la petite Danielle Schwartz.

« Elle m’a raconté qu’un de leurs amis qui travaillait en face de la Gestapo ici (place des Saussaies) avait été obligé de déménager, car il ne pouvait plus supporter d’entendre des hurlements toute la journée. »

Le siège de la Gestapo est situé 11 rue des Saussaies (8è). A la Libération, des salles de tortures, dont celle de la baignoire, y ont été trouvées.

février

Mardi 1er février
[ page 269 | 285 ]

« Hier matin- été chercher Doudou à l’hôpital. Les infirmières et les enfants ne voulaient pas le laisser partir. »

Lettre envoyée à la tante maternelle de Doudou, Léa Rosemblum née Kouchelevitz.
Arrêtée le 7 octobre 1943 pour non-port de l’étoile jaune, elle est déportée par le convoi 61 du 28 octobre 1943. Cette invitation est restée sans réponse.
Source : YIVO-Institute for Jewish Research
RG210_serie 6 _64_Correspondence 1944, 67pp (vue 56/94)

« Après, visite à Mme Weill. Elle est dans un état de nerfs désespérant. Ennuis pour les petits. Soucis de la vie actuelle. Je retiens ceci. Pierre, dans la pension où il est en ce moment, a un vieux professeur auquel il faut apporter des cadeaux pour se faire bien voir.(…) »

Mélanie Weill (1882-1958) mère de Thérèse Schwartz (1905-1943) et grand-mère de Pierre et Danielle Schwartz.

« Vous, vous seriez mieux avec vos coreligionnaires dans les environs du Bourget ! »

Le camp de Drancy est à environ 3 kms du Bourget.

[ page 270 | 285 ]

« Maintenant, c’est nouveau, lorsque je vois un Allemand ou une Allemande, je me suis aperçue avec stupéfaction qu’une bouffée de rage montait en moi, je pourrais les frapper. »

Allemand parmi les Parisiens descendant dans le métro à Opéra
Photo d’André Zucca

Vendredi soir, 4 février 1944
[ page 271 | 287 ]

« À midi, nous avons reçu une visite qui nous a laissés « rêveurs », une bonne femme envoyée par Mlle D. pour nous prévenir. »

Probablement Mlle Detraux.

« Je revenais de chez Nadine. À nouveau, le cours est interrompu. Le pianiste qui faisait de la musique d’ensemble avec nous a été arrêté lundi avec sa soeur, et sans doute déjà déporté. Dénonciation. (…) Ce pauvre Jean Marx. Comment va-t-il supporter cela ? Je sens sans pouvoir en donner les raisons que les artistes souffrent cent fois plus que les hommes d’action normaux. Car c’est un déracinement complet du monde de l’idéal où ils vivaient. Et puis leur sensibilité vibre à la moindre éraflure. »

Il s’agit de Jean Edouard Marx, né le 20 janvier 1894 et domicilié au Landreau (Loire-Atlantique), et de sa soeur Lise née le 21 mars 1901 et domiciliée au 48 rue Desbordes-Valmore (16ème). Ils sont arrêtés le 31 janvier 1944. Lise est déportée le 10 février par le convoi 68. Jean partira le 7 mars par le convoi 69.

Ancien combattant de la 1ère Guerre Mondiale, Jean Marx a reçu la Croix de guerre. Descendants des fondateurs des grands magasins Lajeunesse Marx et Cie à Nantes, il devient directeur du Galeries Lafayette de cette même ville. De son premier mariage avec Georgette Andrée Hesse, il a un fils, Jean né en 1903. En 1932, il épouse en secondes noces Yvonne Godard dont le père est propriétaire du domaine Le château de la Guipère. Jean devient ainsi viticulteur comme l’indique la fiche d’entrée à Drancy. Fait prisonnier en mai 1940, il est démobilisé en décembre 1941. (source : La Saga Marx)

Source : Mémorial de la Shoah, Paris

« Mme Jourdan a joué avec Nadine une sonate de Beethoven.»

Nadine Desouches (1910-1989) professeure de piano.

Hélène Jourdan-Morhange, professeure de violon.

[ page 272 | 288 ]


« Et Jean-Paul qui est arrivé aujourd’hui ! »

Jean-Paul Lefebvre, fiancé de Nicole Schneider. Engagé dans la résistance, il est de passage à Paris.

Lundi 14 février 1944
[ page 273 | 288 ]

Mathilde Schwed* née Hirtz (1863-1944) demeurant au 12, rue Raymond-Poincaré, Troyes (Aube), arrêtée le 28 janvier 1944 avec son mari Silvain né en 1861. Le couple a un fils, Jean né en 1894. Mathilde meurt à Drancy le 8 février 1944. Son mari y décède le 1er mars 1944. Leur fils, Jean Schwed, est mort le 28 février 1942 à Troyes. Notaire de son état, il fut désigné comme otage et arrêté par la Feldgendarmerie le 26 février 1942, puis retrouvé mort dans sa cellule deux jours plus tard. L’autopsie pratiquée conclut à un suicide par pendaison (source : La spoliation des Juifs en France occupée : la mise en œuvre de l’« Opération Meuble » dans le département de l’Aube (1942-1944) ) Il est donc probable que la personne dont parle Hélène et qui s’est inquiétée de ne pas avoir de nouvelles était la femme de Jean Schwed, Marthe née Schwab (1898-1961).

*Hélène a probablement entendu « Schweb« 

Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job

«Je continue à coucher chez Andrée »

Andrée Bardiau habite à 500m de l’appartement des Berr, au dernier étage du 20 rue du Gros-Caillou.

« Cette semaine, il y a eu un mot de Marianne, demandant des vêtements chauds. Elles sont à Drancy. »

Marianne Weill-Raynal qui a été raflée avec sa grand-mère Emmeline et sa belle-soeur Edith.

« Il y a eu jeudi un départ de quinze cents. Peut-être étaient-elles déjà du nombre. »

En effet, Marianne, Emmeline et Edith Weill-Raynal ont été déportées le jeudi 11 février par le convoi 68.


[ page 273 | 289 ]

« La mère de Gilbert a été arrêtée à Grenoble. »

Alice Bloch née Basch (1891-1944) demeurant 56, rue de Monceau, Paris (8è), sœur d’Eugène Basch. Elle est arrêtée à Grenoble puis déportée sous le nom Alice Blondel née Baschet le 7 mars 1944 par le convoi 69. Gilbert Bloch (1920-1944) avait été le prétendant de Denise Berr. Diplômé de Polytechnique, membre du maquis du Vabre sous l’alias Lieutenant Patrick, il sera tué par les Allemands le 8 août 1944.

Son fils Gilbert
Alice Bloch en 1943

[ page 274 | 290 ]

« (…) le rabbin Sachs revenait d’un enterrement »

Joseph Saks * (1884-1944) demeurant au 2, rue Gabriel-Vicaire, Paris (3è). Marié à Jeanne née Dreyfus (1890-1944). Grand rabbin de la synagogue Nazareth, il est arrêté le 6 février 1944 par la Gestapo en revenant d’un enterrement, sous prétexte qu’il se trouvait dans la rue pendant une alerte. Sa femme, Jeanne née Dreyfus (1890-1944), le rejoint à Drancy d’où ils sont déportés par leconvoi 68 du 10 février 1944.

Mardi 15 février 1944
[ page 274 | 290 ]

« J’ai vu ce matin à Neuilly Mme Kahn, qui vient de passer huit jours à Drancy. Elle avait été arrêtée à Orly (…) »

Denise Cahn* (1908-1944) demeurant au 4, rue Turgot, Paris (9è). Divorcée de Gaston Lévy (1901-1989). Membre de l’UGIF, elle est arrêtée une première fois et envoyée à Drancy le 27 janvier 1944. Elle en est libérée, évitant in extremis la déportation par le convoi 67. Employée à l’école Lucien de Hirsch, elle y est arrêtée le 22 juillet 1944 puis déportée par le convoi 77 du 31 juillet 1944.

Etabli en novembre 1943, le centre 75 de l’UGIF se trouvait au château de Grignon, dans les locaux du Secours National, au 95 rue Paul Vallant-Couturier à Orly. Lire l’état des lieux dressé le 15 novembre 1943 par l’architecte en chef du Secours National suivi de la liste de 30 internés arrivés de Paris le 24 novembre suivant.

[ page 275 | 290 ]

« Juste en face de la PJ, il y avait la famille Klotz, une famille arrêtée à Tours )…) »

Adrien Klotz (1875-1943) commerçant dans l’industrie automobile, et sa femme Marthe née Zivy (1885-1943) demeurant au 93, rue Paul-Doumer, Paris (16è). Réfugiés au château de la Houssière à Varennes (Indre-et-Loire) avec leurs deux filles et leur gendre : Denise (1909-1943) née au Mexique, divorcée de Georges Jacob et demeurant au 27, avenue Mac-Mahon, Paris (17è) et Suzanne (1910-1943) née au Mexique, demeurant au 18 rue de Chazelles, Paris (17è), épouse de René Marx (1904-1943). Toute la famille est arrêtée, internée au camp de Drancy avant d’être déportée par le convoi 58 parti le 31 juillet 1943.

[ page 275 | 291 ]

« Mme Kahn dit : « On arrive à se laver sans qu’on vous voie (…) »

Denise Cahn*

[ page 276 | 291 ]

« Par exemple, dans ma chambre, il y avait une famille de treize, enfants et parents, arrêtés dans les Ardennes (…) »

« Quand Fuidine* (un des autres du personnel d’Orly) a vu que je les avais pris dans notre chambre (…) »

Jacob dit Jacques Freidine * (1914-1961) demeurant au 18, rue du Roi-de-Sicile, Paris (4è). Employé à l’orphelinat du centre UGIF 71 à La Varenne-Saint-Hilaire, il est arrêté le 20 août 1941 et interné à Drancy puis transféré au centre UGIF 75 à Orly le 8 janvier 1943. Il est interné une nouvelle fois à Drancy le 27 janvier 1944 avant d’être de nouveau envoyé à l’orphelinat de La Varenne. Le 23 juillet 1944, lors de la rafle organisée par Aloïs Brunner, il y est arrêté avec les enfants. Déporté par le convoi 77 du 31 juillet 1944, il sera libéré par les troupes soviétiques le 27 janvier 1945 et rapatrié en France en juin.

*Erreur de transcription : Hélène a écrit Freidine

Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job

[ page 278 | 293 ]

« Tout le temps, à l’arrière-plan de ma pensée, il y a les pages de Résurrection, du deuxième volume où l’on décrit le voyage des déportés. »

[ page 279 | 294 ]

« Mme Loewe m’a demandé, lorsque nous étions à l’infirmerie en train de déshabiller deux petits jumeaux de 4 ans, nouveaux arrivés : « Eh alors, qu’est-ce que vous en dites ? »

Simone Loewe-Lyon, médecin pour enfants. Chef de service à l’UGIF, responsable de la pouponnière de Neuilly. En juillet 1942, elle se porte volontaire avec, entre autres, le Dr Alfred Milhaud pour assurer la prise en charge médicale de ses coreligionnaires enfermés dans le Vélodrome d’Hiver en juillet 1942. Après la guerre, elle pratiquera toujours, 80, rue de la Boissière, Paris (16è).

D’après Maurice Jakubowicz, contacté en septembre 2023, il s’agit de ses frère et sœur, Michel et Yvette Jakubowicz, nés en 1939 dont les parents sont Abram Jakubowicz (1902-1968) et Fajga-Liba (Fanny) née Dancyger (1905-1975). La famille habite au 17, impasse Saumon, Paris (20è). L’impasse a aujourd’hui disparu. Pendant la guerre, la famille compte 9 enfants : Odette (née en 1930), Simon (né en 1932), Monique (née en 1934), Jeannine (née en 1936), Paulette (née en 1937), Yvette et Michel (nés en 1939), Maurice (né en 1941), Robert (né en 1943). Nicole est née après la guerre, en 1947. Parents et enfants ont survécu ayant miraculeusement échappé à la rafle du Vel’ d’Hiv puis celle du 4 février 1944. C’est après cette dernière que la mère décide de faire cacher ses enfants. Les jumeaux seront ainsi confiés à Neuilly avant d’être placés dans une famille à Margency (Val-d’Oise).

7 h 15
[ page 280 | 295 ]

« Je viens de recevoir la visite d’un ancien prisonnier du camp * du petit Paul, qui m’avait écrit pour me demander ce qu’il pouvait faire pour lui. »

*Hélène a certainement voulu écrire «du camp du père du petit Paul ».

Il s’agit probablement de Paul Jacubowicz (1938-1944) né à Strasbourg et demeurant 9, rue Marquereau, Tours. Son père, Max Jacubowitz (né en 1910 à Lodz) est prisonnier de guerre. Paul et sa mère, Rose née Kluger (1914-1942), rejoignent ses grands-parents paternels installés rue Margueron à Tours. Ils habitent successivement, 75 rue Couvrat Desvergnes, puis 97 rue Jolivet. Le 15 juillet 1942, Rose et Paul sont arrêtés, emmenés à l’Ecole Normale de filles de Saint Symphorien. Paul, comme les 32 autres enfants, est séparé de sa mère et transféré au Camp de La Lande le 17 juillet. Rose est déportée par le convoi 8 du 20 juillet 1942. Les grands-parents paternels, Léon (1887-1942) et Gitla (1881-1942), obtiennent que Paul leur soit confié. Il sort du camp de Monts le 19 août 1942. Mais lors de la rafle du 9 octobre 1942, il est à nouveau arrêté, avec ses grands-parents, transféré à Drancy via le Grand Séminaire d’Angers. L’UGIF réussit à le faire sortir de Drancy et, alors que ses grands-parents sont à leur tour déportés, par le convoi 45 du 11 novembre 1942, il est tout d’abord confié au centre Lamarck vers le 14 novembre 1942. Le 15 décembre 1942, il est envoyé à la pouponnière de Neuilly. Malade, il passe plusieurs mois au sanatorium de Brévannes d’où il sort en août 1943. Début février 1944, il est transféré de Neuilly à Lamarck pour finalement être confié à la maison d’enfants de La Varenne Saint Hilaire. Sa tante paternelle, Rose Schartenberg, prend régulièrement de ses nouvelles et lui envoie des colis. Paul est parmi les enfants raflés du centre de la Varenne le 22 juillet 1944. Il fera partie du dernier convoi, le 77, parti le 31 juillet 1944. Son père sera le seul survivant. (source : ADIRP 37-41)

Source : YIVO-Institute for Jewish Research
RG210_serie 6 _64_Correspondence 1944 (vues 49-51/94)

[ page 281 | 296 ]


« À peu près le récit du garçon de salle des Enfants-Malades. »

Voir le Journal le 17 novembre 1943.

Référence à Macbeth de Shakespeare :

O horror, horror, horror!
Tongue nor heart cannot conceive nor
name thee!

ou aux derniers mots de Mr Kurtz dans Heart of Darkness de Joseph Conrad :

The horror! The horror!