– 1943 –
La pagination indiquée se réfère aux deux éditions du Journal d’Hélène Berr. Dans l’ordre : [Tallandier | Points].
La mention « Erreur de transcription » provient d’une comparaison entre la version publiée et la version manuscrite du journal disponible au Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job
La majorité des photographies montrant Paris sous l’Occupation sont l’oeuvre du très controversé André Zucca. « En août 1941, il devient correspondant du magazine de propagande allemand nazi Signal, obtenant ainsi un laisser passer, des pellicules noir et blanc et la très rare pellicule Agfacolor. En octobre 44, il est arrêté puis relâché, les poursuites contre lui étant abandonnées en 1945. » Malgré tout, nous avons fait le choix d’utiliser son travail comme un document historique qui nous permet d’entrevoir ce Paris dont parle Hélène dans son journal.
Malgré tout le soin que nous y avons mis, les annotations du journal procèdent de recherches et de recoupements qui ne garantissent pas la véracité des informations retenues. Si vous remarquez des erreurs, nous vous saurions gré de nous contacter afin que nous apportions les rectifications nécessaires. De même, si la publication de certaines informations constituent une atteinte à la vie privée, veuillez nous contacter avec en intitulé «Objet : Demande de droit d’effacement». Par ailleurs, si vous possédez des informations supplémentaires que vous souhaitez partager, nous serons heureux de les héberger sur le site. Cliquez sur Contact
août
Mercredi 25 août 1943
[Tallandier page 167 | Points page183 ]
« Un an presque a passé, Drancy, les déportations, les souffrances existent toujours. Beaucoup d’événements se sont passés : Denise s’est mariée ; Jean est parti pour l’Espagne sans que j’aie pu le revoir ; toutes mes amies du bureau sont arrêtées, et il a fallu un hasard extraordinaire pour que je ne sois pas là ce jour-là ; Nicole est fiancée avec Jean-Paul ; Odile est venue ; un an déjà ! (…) »
Le dernier convoi de l’année 1942 est parti le 11 novembre. Entre le 9 février et le 31 juillet 1943, 12 convois sont partis de Drancy avec au moins 1.000 personnes à chaque déportation (à part le convoi 45 du 11 nov. 42 qui en comptait 745). Le 30 juillet 1943, Aloïs Brunner opère une rafle au siège du service d’assistance sociale de l’UGIF rue de la bienfaisance. Mme Schwartz, Mme Horvilleur, Françoise Bernheim, dont Hélène était devenue très proche dans les mois précédents, font partie des 67 victimes. André Baur, vice-président de l’UGIF et oncle d’Odile, a été arrêté et interné à Drancy 2 jours avant. Sa femme Odette et leurs enfants seront internés avec lui le 10 septembre 1943.
Denise Berr et François Job se sont mariés le 12 août 1943. Hélène raconte en détails ce mariage dans sa lettre à Odile Neuburger datée du 16 août 1943 :
« Le mariage civil a eu lieu Mercredi, par une pluie diluvienne ; il y avait la famille et quelques amis (Mme AGACHE, PINEAU etc. …). Denise et François étaient charmants ; François avait un chapeau pour la première fois de sa vie, et il en était très fier ; Denise avait l’air d’une poupée, dans une très jolie robe à grandes fleurs multicolores et un grand béret de velours bleu ; personne n’a entendu son « oui », et personne n’est sûr de son consentement. (…) Après, je suis repartie dare-dare avec Nicole pour confectionner chez elle le wedding-cake. En chemin, nous avons été hélées, et sous une porte cochère, nous avons aperçu les deux nouveaux mariés joyeusement à l’abri de la pluie. Cela me donnait envie de rire aussi, je ne sais pas pourquoi. »

Lettre à Odile Neuburger datée du 30 juillet 1943 :
Ma Mieux-Aimée chérie
« Ceci est peut-être en effet la dernière lettre que tu recevras de moi… pour quelques temps. Tu as bien failli ne pas la recevoir. Ce matin tout mon bureau est parti, et il a fallu un hasard inouï (j’allais chercher Charles pour le mener à la gare car il partait en vacances) pour que je ne m’y trouve pas. Je ne savais rien de précis, je n’avais entendu que des bruits à l’hospice cet après-midi ; mais je viens d’aller chez Françoise B. ma grande amie – et j’ai appris qu’elle était à D[rancy] – Pourquoi faut-il que le hasard ait fait que je ne sois pas avec elle ? Je voulais justement t’écrire, car je vois que tu as du avoir beaucoup de peine, pour Oncle A[ndré Baur] j’ai reçu hier ta lettre « sale » (pas tant que ça), et tu ne paraissais pas au courant. Tante O[dette Baur] est merveilleuse. Viviane venait de la voir; elle est toujours ici, je crois. Je ne sais pas où je serai demain. Personnellement, cela m’importe peu ; la perspective m’a toujours été si présente ; peut-être est-ce que je manque d’imagination ? Cela me dégoûte même un peu d’être restée en arrière – c’est bête de dire cela, mais pourquoi cacher mes sentiments ? La seule chose qui m’angoisse dans tout cela, c’est que je ne sais pas où est Jean. Il y a huit jours (après un silence de huit jours), j’ai reçu une carte de lui, avec 4 lignes au crayon, disant qu’il partait pour l’Allemagne sans pouvoir me revoir, – il ajoutait en P.S. qu’il tâcherait de voir Rose [ les Anglais ] Dimanche dernier – Depuis, c’est à nouveau le silence – S’il m’arrive quelque chose, je ne saurai même pas où il est. »

Sources : Archives familiales | A. Hyafil
***
OCTOBRE
10 octobre
[ page 167 | 184 ]
« Aujourd’hui, en rentrant de chez Georges et Robert, j’ai été brusquement la proie d’une impression : qu’il fallait que j’écrive la réalité. »
Georges Dreyfus (1878-1957), avocat à la cour d’appel, et son frère Robert Dreyfus (1879-1943), conseiller à la cour de cassation, demeurant tous les deux au 10, rue Margueritte, Paris (17è). Cousins germains de Raymond Berr. Arrêtés en décembre 1941 lors de « la rafle des notables », internés au camp de Royallieu à Compiègne et relâchés 3 mois plus tard.
***
[ page 168 | 184 ]
« (…) je retrouve, plutôt je recherche ce soir cette citation de Keats, au début d’Hypérion »
En quelques pages laissées (sans doute volontairement) inachevées, Keats (1795-1821) évoque, dans son épopée en vers blanc publiée en 1820, successivement la déchéance de Saturne entouré des Géants, l’inquiétude d’Hypérion menacé par la jeunesse et la beauté d’Apollon, enfin la naissance à la poésie du dieu sur les rives de Délos.
Traduction :
« Car tout homme dont l’âme n’est pas de glaise
A des visions et parlerait, s’il avait aimé,
Et eût été bien nourri de sa langue maternelle. »
John Keats, La Chute d’Hypérion. Un rêve, l. 13-15, 1819.
***
[ page 170 | 186 ]
« Seule Françoise partageait mes idées. La seule pensée de Françoise gonfle mon coeur de chagrin. »
Françoise Bernheim (1912-1943), demeurant 81 rue de Lille, Paris (7è), étudiante et assistante de Sylvia Beach à la librairie Shakespeare and Co. Bénévole à l’U.G.I.F., elle est arrêtée le 30 juillet 1943 à la sortie de l’U.G.I.F. et déportée le 2 septembre 1943 par le convoi 59.
Le soir du samedi 31 juillet 1943, Hélène écrit à Odile Neuburger :
« J’ai l’impression d’avoir perdu mon ancre – Françoise était pour moi quelqu’un de merveilleux : nous nous entendions si parfaitement bien à tous les points de vue ; et nous avions tellement souvent envisagé l’éventualité ensemble – j’ai presque envie de lui courir après et de lui dire : attendez-moi – Mercredi, elle est venue passer la journée à Aubergenville avec moi – My God ! »

Source : Archives familiales | F. Findlay
***
Dimanche 10 octobre,
21 heures
[ page 172 | 188 ]
« Promenade – Louv et femmes Étoile – Jean O. – Edmond B. Thibault. »
Ici, Hélène a probablement fait la liste des sujets dont elle voulait parler , pour ne pas oublier, mais n’a pas dû avoir le temps d’écrire ce soir là. On retrouve aussi ce genre de mémo griffonné au dos de certaines pages du manuscrit.
Promenade avec des enfants juifs des foyers de l’UGIF – Jean Olléon – Edmond Bloch – roman de Roger Martin du Gard, Les Thibault
***
Lundi matin
11 octobre
[ page 172 | 188 ]
« Ce matin, coup de sonnette strident à sept heures. Je pensais bien que c’était un pneumatique, et de Mme M. »
Denise Milhaud née Léon (1906-2002), demeurant au 106, bd St-Germain, Paris (6è), épouse du Dr Alfred Milhaud, médecin de l’UGIF. Assistante sociale en chef des maisons d’enfants de l’UGIF et à la tête des opérations d’aide et de sauvetage d’enfants juifs menées par le réseau clandestin L’Entraide Temporaire dans lequel la famille Berr s’engage.

Source : Collection particulière Mariette Job
« Hélène me l’a apporté et a allumé pour me le donner. Elle n’avait pu joindre Anna (…) »
Hélène est une domestique des Berr.
Il s’agit probablement d’Anna Neishtat née en 1925, fille de Haïman Neishtat (1891-1942) et de Ryvka née Rykosynska (1891- ?), demeurant au 28, rue St Sébastien, Paris (11è). Haïman est interné à Pithiviers en août 1941 et déporté le 25 juin 1942 par le convoi 4. Après la guerre, Anna est reconnue pour ses activités dans la Résistance. Elle sera assistante sociale.
« (…) le mari et la fille de Mme Löb ont été arrêtés dans le midi. Elle était si tranquille pour eux, et elle avait eu tant de mal à se séparer de sa fille. »
Il s’agit de l’assistante de Mme Milhaud, Hélène Löb, née Nersum, 1899-1966, demeurant 95 rue de Courcelles, Paris (17è). Elle est mariée au Dr Henri Löb (1893-1989) et a une fille, Monique (1924-2022). D’après Danielle Kupecek, Monique a exercé comme surveillante au sénatorium de Trélon où des enfants juifs étaient cachés. Nous retrouvons les noms d’Henri et Monique dans les registres de Drancy, au 8 octobre 1943, sous de faux noms : Henri Loubier et Monique Labiche. Au verso de leurs fiches de Drancy, il est inscrit qu’ils ont été libérés le 22 octobre 1944. Cette date tardive pourrait indiquer qu’ à la Libération, ils ont été soupçonnés de Collaboration à cause de leurs liens avec l’UGIF.
***
[ page 173 | 189 ]
« La rage de Maman s’était tournée contre Mme Agache. Et derrière Mme Agache, contre l’inertie des catholiques. »
Agnès Agache née Duret (1887-1979), demeurant 24, avenue Paul Doumer, Paris (16è), veuve de Donat Agache, 1882-1929, administrateur de la compagnie des chemins de fer du Nord et président des Etablissements Kuhlmann dont Raymond Berr est Vice-Président à partir de 1939.
***
[ page 173 | 190 ]
« J’ai relu samedi le chapitre sur le grand inquisiteur dans Les Frères Karamazov. »
Roman de Dostoïevski que lui a offert Jean Morawiecki.
***
Lundi soir
[ page 175 | 191 ]
« Je suis allée à Neuilly ce matin (…) »
Hélène s’est rendue au 67 de la rue Édouard-Nortier à Neuilly-sur-Seine où se trouve la pouponnière de l’UGIF.
« Mme Crémieux est venue dîner. Quelle angoisse de penser à elle ! »
Marie « Georgette » Crémieux née Parmentier (1907-2004), demeurant 22, rue Fourcroy, Paris (16è), seconde épouse de Gaston Moïse Crémieux, (1891-1942). Avocat à la cour de Paris, il est arrêté en août 1941, interné à Drancy, où il occupe un poste de chef de service, puis déporté de Beaune-la-Rolande par le convoi 5 du 28 juin 1942.
***
Mardi [ 12 octobre ]
[ page 175 | 191 ]
« J’ai emmené cinq petits à Lamarck, les plus jolis et les plus gentils. Si les gens qui m’aident dans le métro savaient ce que sont ces enfants, les petits dont les souvenirs de train se rapportent toujours au voyage qui les a amenés ou ramenés du camp, qui vous montrent un gendarme dans la rue en disant : « C’est un comme ça qui m’a ramené de Poitiers. » « Laissez venir à moi les petits enfants, a dit le Christ. »
Une des maisons d’enfants de l’UGIF (le centre 28) est située 16, rue Lamarck (18e). Ce jour-là, Hélène y a emmené 5 enfants de la maison d’enfant de Louvecienne. Il s’agit de Raphaël Bendersky, Jeannette Goldman, Suzanne Koslewicz , Samuel Przemyslawski et Bernard Tattenbaum comme l’indique l’entrée au 12 octobre 1943 dans la section « Mutations-Centres» du registre intitulé «Neuilly» où on reconnaît l’écriture d’Hélène.

(MK490_45-251 | folder 64.10)
Raphaël Bendersky (1938-1944) né à Nancy. Avant son arrestation, la famille résidait au 17, boulevard Aristide-Briand, Châtellerault (Vienne). Les parents, Boris né en 1910 et Natalia née Lajman ou Lehmann en 1913, sont internés au camp de Poitiers puis de Drancy avant d’être déportés le 11 février 1943 par le convoi 47. Raphaël est confié à la pension Zysman à la Varennes. Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, sur les ordres d’Aloïs Brunner, des SS arrêtent les enfants des foyers de l’UGIF dont Raphaël. Il est déporté le 31 juillet 1944 par le convoi 77.

Source : Archives Nationales (F/7/15109, dossier 4a)
Consulter les archives intitulées Inspection générale des camps d’internement (1940-1964) pour une description minutieuse des lieux et de l’organisation internes.
Samuel Przemyslawski est né le 7 octobre 1938 à Metz. Ses parents Joseph et Golda née Francuz (1903-1942) sont nés en Pologne. La famille compte deux autres enfants : Maurice né en 1933 et Régine née en 1937. Alors que Joseph, engagé volontaire, est fait prisonnier de guerre, Golda, sa mère, Ryvka Francuz née Engel (1874-1942), sa sœur, Brucha Salomon (1905-1942), ainsi que les trois enfants s’installent 17 rue Vigier de la Pile à Angoulême. Le 8 octobre 1942, ils sont arrêtés lors de la rafle souvent appelée «le Vel’ d’Hiv’ d’Angoulême». Les adultes sont envoyées à Drancy et déportées par le convoi 40 du 4 novembre 1942. Les enfants sont confiés à des familles d’accueil à Poitiers. Début 1943, les enfants sont arrêtés et confiés à l’UGIF. Ils sont parmi les enfants raflés le 22 juillet 1944 sur les ordres d’Aloïs Brunner. Alors que leurs camarades sont déportés dans le convoi 77 en direction d’Auschwitz, en tant qu’enfants de prisonnier, ils sont envoyés à Bergen-Belsen par le convoi 80D. Leur père, qui travaille comme tailleur dans le Stalag et en particulier pour le chef du camp, leur fait passer un colis. Entre le 6 et le 10 avril 1945, les enfants se trouvent à bord du train fantôme qui finit sa course à Tröblitz. Ils seront rapatriés fin juin 1945 et seront retrouvés par leur père au Lutetia. Après la guerre, Samuel, qui a pris le patronyme Premilat, est devenu professeur à l’université de Nancy.

Au 1er rg, Jeannette Goldman et Samuel Przemyslawski
Jeannette Goldman est née le 18 mai 1939 à Paris. Ses parents Chuna (1907-1942) et Dwojra née Frydman (1906-1942) sont nés en Pologne. La famille compte une fille aînée, Fanny, née à Paris le 2 février 1931. Ils habitent au 157 rue Saint-Martin, Paris (3ème). Ils sont tous les quatre arrêtés le 16 juillet 1942 lors de la rafle du Vel’ D’Hiv. Dwojra et les enfants sont envoyées au camp de Pithiviers tandis que Chuna part pour celui de Beaune-la-Rolande. Le père est déporté le 5 août 1943 par le convoi 15. La mère est déportée le 7 août 1942 par le convoi 16. Les enfants ont dû être transférées au camp de Beaune puisque c’est de ce camp que Fanny est déportée le 21 août 1942 par le convoi 22. Jeannette est confiée à l’UGIF. Elle est raflée au centre de Louveciennes le 22 juillet 1944 et déportée par le dernier convoi, le 77, le 31 juillet suivant.
Bernard Tattenbaum (1939-1944) fils de Jankiel (1905-1942) et Sura née Ryndhorn (1903-1942), demeurant au 35, rue des Couronnes, Paris (20è). D’après le recensement de 1936, la famille comptait deux fils aînés. Le père est déporté par le convoi 2 du 10 juillet 1942. La mère a été arrêtée le 16 juillet 1942 et déportée par le convoi 14. Le petit Bernard est confié à l’UGIF. Il fait partie des enfants raflés sur les ordres d’Aloïs Brunner et déportés par le convoi 77 le 31 juillet 1944.
*l’orthographe du nom de famille varie : Tajtelbom, Tetelbaum
Suzanne Koslewicz est née le 1er janvier 1940 à Marseille. L’identité de ses parents et sa vie avant son arrivée à l’UGIF sont jusqu’ici inconnues. Suzanne est au centre de Louveciennes quand la rafle du 22 juillet 1944 a lieu. Elle fait partie du convoi 77 parti le 31 juillet suivant.

***
« À deux heures et quart, enterrement de Robert au cimetière Montparnasse (…) Julien Weill lisait la prière devant »
Robert Dreyfus, cousin de Raymond Berr. Etant magistrat, son cercueil était recouvert de sa robe rouge
Julien Weil, grand rabbin de Paris, oncle d’André Baur et grand-oncle d’Odile Neuburger a lu la prière.
***
[ page 176 | 192 ]
« Hier soir, j’ai presque fini Les Thibault . Jacques me hante, c’est si triste, sa fin, et pourtant si inévitable. »
Né en 1881 au sein d’une famille de magistrats, Roger Martin du Gard, archiviste-paléographe de formation, doit son entrée en littérature à la lecture choc de La guerre et la paix de Tolstoï. Il entame dès 1920 et jusqu’en 1940, l’œuvre de sa vie, Les Thibault pour laquelle il reçoit en 1937 le prix Nobel de littérature. Réparti en huit livres et 184 chapitres, ce roman fleuve, situé entre 1904 et la fin de la grande guerre, suit la vie de deux familles bourgeoises, de confession et de valeurs distinctes, les Thibault et les De Fontanin. Jacques Thibault, idéaliste et révolté vit une amitié passionnée avec Daniel de Fontanin ; la découverte de leur correspondance conduira au drame.
***
Jeudi 14 octobre
[ page 176 | 192 ]
« Emmené les petits et Anna se faire opérer des végétations à l’hôpital Rothschild. »

(MK490_45-251 | folder 64.10)
Anna Neishtat née en 1925, fille de Haïman Neishtat (1891-1942) et de Ryvka née Rykosynska (1891- ?), demeurant au 28, rue St Sébastien, Paris (11è). Haïman est interné à Pithiviers en août 1941 et déporté le 25 juin 1942 par le convoi 4. Anna donne naissance à un petit garçon, Gabriel Guy, en avril 1943 à l’hôpital Rothschild. Mère et enfant sont envoyés à Neuilly le mois suivant où Anna devient berceuse. Après la guerre, Anna est reconnue pour ses activités dans la Résistance. Elle sera assistante sociale.

RG210_serie 37_2_Memoranda between service 40 and 42, 97pp (vue 90/97)

RG210_serie 6 _64_Daily Reports 1943, 96pp (vue 53/109)
Mireille Roth est née le 1er janvier 1939 à Paris. Ses parents Mendel (1903-1942) et Bayla née Jedwab (1900-1942) sont nés en Pologne. La famille compte une fille aînée, Hinda, née en 1927 en Pologne. Ils demeurent au 176, rue du Temple, Paris (3è). Ils sont arrêtés lors de la rafle du Vel’ d’Hiv le 16 juillet 1942 puis internés au camp de Beaune-la-Rolande d’où Hinda et son père partent le 5 août par le convoi 15 et Bayla 2 jours plus tard par le convoi 16. La petite Mireille a certainement été confiée à la pouponnière de Neuilly à partir de là. Elle fait partie des enfants raflés la semaine du 22 juillet 1944 et du convoi 77.
André Kane* (1939-1944) , né à Saint-Quentin (Aisne). Avant son arrestation, la famille demeurait au 40, rue des Glatiniers, Saint-Quentin (Aisne). Le père, Abram né en 1903, est déporté par le convoi 12 du 29 juillet 1942. Sa femme. Golda née Szapszowicz en 1906, est séparée de ses trois enfants au camp de Pithiviers pour être déportée par le convoi 26 du 31 août 1942. L’aîné de ses enfants, Leib né en 1929 est déporté le 4 novembre 1942 par le convoi 40 tandis que les deux plus jeunes, André et Renée, née en 1932, sont confiés à des foyers de l’UGIF, respectivement à la pension Zysman à la Varennes et au foyer de Saint-Mandé. Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, sur les ordres d’Aloïs Brunner, des SS les arrêtent. Ils sont déportés le 31 juillet 1944 par le
convoi 77.
*dans le journal, Hélène l’orthographie Kahn
Peacock Pie est un roman de Walter de la Mare (1873-1956).
***
Vendredi [ 15 octobre ]
[ page 177 | 193 ]
« Hospice. Leçon d’anglais à Simon. »
Probablement l’hospice Rothschild situé 76 rue Picpus (12è), annexe de Drancy, où sont internées les personnes âgées.
Simon c.f. Enfants de l’UGIF
***
Samedi [ 16 octobre ]
[ page 177 | 193 ]
« Hôpital Saint-Louis le matin. Effectué et assisté au traitement de la gale. Une petite de 3 ans. (…) »

(MK490_45-251 | folder 64.10)
Sylva Kalinsky née à Nancy le 29 septembre 1939. Domiciliée au 90, rue Notre-Dame, Nancy. Ses parents, Baïla née Sendziejewski en 1908 et Maurice Kalinsky né en 1905, sont arrêtes en octobre 1942 puis déportés par le convoi 12 du 6 novembre 1942. Silva et ses trois soeurs, Renée née en 1927, Estelle née en 1930 et Rosa née en 1936, sont confiées à l’UGIF. Le 22 juillet 1944, ces dernières sont parmi les enfants raflés dans les centres de l’UGIF sur les ordres d’Aloïs Brunner. Ce jour-là, Sylva est absente de la pouponnière de Neuilly le couple Pivault l’ayant sortie pour le week-end. Seule Sylva survivra. Elle est adoptée par les Pivault qui la baptise Christiane.

***
Dimanche 17 octobre
[ page 177 | 194 ]
« Georges à déjeuner. Rue Raynouard. Été faire de la musique chez Denise. Breynaert me raccompagne jusqu’au métro (…) »
Georges Dreyfus, cousin germain de Raymond Berr.
Rue Raynouard où habitent les Schneider et Bonne Maman.
Depuis leur mariage, Denise et François Job habitent 78, avenue de Versailles (16è).
J’oublie de te dire que son petit appartement est ravissant, et m’a conquise au premier abord. Leur bonheur est un foyer de lumière qui m’atteint moi aussi. Je suis sous le coup de deux impressions : l’impression de vide et de solitude que me cause son absence, et l’impression de lumière que j’éprouve lorsque je pense au 78 Av. de Versailles. Je vais aller apporter à Denise des fleurs et du ravitaillement ce matin. (Lettre d’Hélène à Odile datée du 16 août 1943)
Jacques Breynaert (1915-1998) demeurant probablement au 143, avenue de Suffren, Paris (7è), fils de François Breynaert, 1881-1962, ancien élève de Polytechnique et de l’Ecole des Mines, vice-président de la Compagnie des phosphates et chemins de fers de Gafsa (Tunisie). Jacques étudie à H.E.C. et deviendra directeur commercial chez Saint-Gobain.
***
[ page 178 | 194 ]
« Sur le pont Mirabeau, il m’a dit : « Alors, cela ne vous manque pas de ne pouvoir sortir le soir ? » »
L’ordonnance allemande du 7 février 1942 interdit aux Juifs vivant en zone occupée d’être hors de leurs logements entre 20 heures et 6 heures du matin. Elle leur interdit aussi de changer de lieu de résidence.

International Court of Justice
(view 14/21)
« Health and spirits can only belong unalloyed to the selfish man—the man who thinks much of his fellows can never be in spirits. » (about November 1, 1817)
***
Lundi 25 octobre 1943
[ page 182 | 199 ]
« Il y a tant de dangers qui me guettent, l’étrange est que j’y ai échappé jusqu’à présent. Je pense à Françoise, et j’ai toujours ce sentiment si vif qu’au moment de la rafle : pourquoi pas moi ? »
Hélène explique pourquoi elle n’était pas au bureau au moment de l’arrestation de ses collègues dans sa lettre à Odile du 30 juillet 1943 :
« Ce matin tout mon bureau est parti, et il a fallu un hasard inouï (j’allais chercher Charles pour le mener à la gare car il partait en vacances) pour que je ne m’y trouve pas. »
c.f. Enfants de l’UGIF
Le 31 juillet, elle ajoute :
« Aujourd’hui j’ai absolument l’impression d’avoir été laissée derrière dans un reflux de la marée. Je suis hantée par cette phrase du livre de JOB sur laquelle se termine Moby Dick, après le naufrage : « Et moi seul, j’échappai pour venir te le dire ». Mon esprit est tout le temps avec les autres, avec celles auprès de qui j’ai travaillé depuis un an, et qui ont fini par faire partie de mon existence. »
***
Mercredi 27 octobre
[ page 183 | 199 ]
Mercredi 27 octobre
« Lundi matin, vingt-cinq familles ont été arrêtées boulevard Beaumarchais, sans le moindre « motif ». Les scellés ont été mis tout de suite. »
Parmi ces familles, au 70, Camille Bajona et son épouse Marguerite née Weill, au 34, Hermann Baumgart et son épouse Marthe née Baum, au 70, Lucie Gerstle veuve Wolf.



« Il y a Les Frères Karamazov. La pensée des quelques lignes qui sont sur les pages de garde est un trésor infiniment précieux. » Lignes que Jean a dédicacées

















***
[ page 184 | 200 ]
« Ce n’est pas la perte du livre qui m’a donné ce choc au coeur, c’est à nouveau le souvenir de Mme Schwartz. (…) j’ai réalisé soudain que les petits enfants de Mme Schwartz étaient dans le même cas exactement, que maintenant ils avaient leur père et leur mère déportés, égalisation »
Thérèse Schwartz née Weill, 1905-1943, demeurant au 16, rue de la Tour-d’Auvergne, Paris (9è), épouse de Léon Schwartz (1899-1942). Ce dernier est déporté de Drancy par le 1er convoi à destination d’Auschwitz, le 27 mars 1942. Collègue d’Hélène à l’UGIF, Thérèse est arrêtée avec ses collègues sur son lieu de travail le 30 juillet 1943. Elle est déportée par le convoi 59 parti de Drancy le 2 septembre 1943. Elle laisse deux jeunes enfants, Pierre (1931-2012) et Danielle. Malgré l’homonymie, ils ne sont pas en famille avec Daniel Schwartz, le mari d’Yvonne Berr.
André Kane* (1939-1944), né à Saint-Quentin (Aisne). Avant son arrestation, la famille demeurait au 40, rue des Glatiniers, Saint-Quentin (Aisne). Le père, Abram né en 1903, est déporté par le convoi 12 du 29 juillet 1942. Sa femme. Golda née Szapszowicz en 1906, est séparée de ses trois enfants au camp de Pithiviers pour être déportée par le convoi 26 du 31 août 1942. L’aîné de ses enfants, Leib né en 1929 est déporté le 4 novembre 1942 par le convoi 40 tandis que les deux plus jeunes, André et Renée, née en 1932, sont confiés à des foyers de l’UGIF, respectivement la pension Zysman à la Varennes et le foyer de Saint-Mandé. Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, sur les ordres d’Aloïs Brunner, des SS arrêtent les enfants des foyers de l’UGIF. Au total 250 enfants, dont les petits Kane, sont raflés, internés à Drancy et déportés le 31 juillet 1944 par le convoi 77. Ils sont gazés à leur arrivée à Auschwitz-Birkenau.
*Hélène a fait une erreur dans l’orthographe du nom
Dans sa lettre à Odile datée du 3 septembre 1943, Hélène écrit :
« Je ne t’écrirai pas grand-chose, car j’ai trop de peine : j’ai appris hier que tous mes amis étaient partis. Ce n’est pas que je ne te considère pas comme le réceptacle de toutes mes joies et mes chagrins : tu le sais bien, n’est-ce pas, Mieux- Aimée ? Mais je ne peux pas écrire ; je ne peux que penser, penser à la somme de souffrances que tous ces cas représentent pour eux et pour les leurs – penser à l’intimité que j’avais avec eux – à toutes les conversations que nous avons eues (et bien souvent à ce sujet même – ils doivent tout savoir avec une lucidité terrible) – à tous les projets que nous faisions ensemble chaque jour – et puis à l’amour que j’ai pour certain(e)s d’entre elles, et surtout pour Françoise – Françoise qui ne voulait pas être emmenée, et avec qui je m’entendais si merveilleusement. Maintenant il me semble que je suis tout à fait abandonnée sur mon ilot – vais-je continuer la bataille comme cela ? Maintenant que j’ai vu partir tous mes amis, cela me semble tellement désolé – beaucoup de gens nous donnent le conseil que tu connais – même Maman – Mais je ne veux pas, quoique je sois à peu près sûre de finir comme les autres. Peu à peu cette définition de l’espoir dans Prométhée Délivré de SHELLEY devient de plus en plus claire.
To hope till Hope creates
From its own wreck the thing it contemplates »

***
[ page 186 | 202 ]
« [la mère de Jean ] m’a fait un mal que je n’oublierai jamais en m’apprenant que j’étais allée l’avant-veille à Saint-Cloud en toute confiance (…) »
La famille Morawiecki habite à Saint-Cloud.
***
[ page 190 | 207 ]
« Comme dans ces vers saisissants de Keats : This living hand, now warm and capable (…) »
Le titre du poème de Keats est « This living hand, now warm and capable »
***
[ page 191 | 207 ]
« Je donnerai ces pages à Andrée. »
Andrée Bardiau née Silvosy (1898-1970) était la cuisinière des Berr. En mai 1945, elle remet le journal d’Hélène à son frère Jacques Berr qui en fait faire des copies avant de donner l’original à Jean Morawiecki. Après la guerre, Andrée reste au service d’Yvonne et Daniel Schwartz. Leurs enfants seront très proches de celle qu’ils appelleront Mamie Bardiau. Son mari, François (1888-1956), était chauffeur pour les Ets. Kuhlmann. Ils ont une fille, Marguerite, née en 1921.

***
[ page 192 | 208 ]
« Si j’écrivais : « Jean chéri », j’aurais l’impression de jouer à l’héroïne de roman, je penserais au « Jim chéri » de Miss Thriplow dans Marina di Vezza »

***
« Je note ici des passages des Thibault (Épilogue) qui m’ont saisie, comme la main de Keats. »

[ page 193 | 209 ]
« Je sais que ce n’est qu’une oeuvre d’imagination, que l’auteur ne se voyait pas mourir comme Antoine, mais je l’accepte comme une vision de l’état d’âme d’un autre personnage. » Antoine Thibault
« À Jean-Paul : « Mais, surtout, je voudrais que tu te défendes toi-même contre toi. » Jean-Paul est le fils de Jacques Thibault. C’est à son neveu qu’Antoine Thibault écrit ces mots.
***
[ page 194 | 210 ]
« Je peste intérieurement, mon ressentiment contre Hélène se cristallise au souvenir de la mamizelle Agatha d’Axel Munthe (…) » Hélène est la domestique des Berr. Elle est comparée à Agata, la bonne dans le récit autobiographique d’Axel Munthe intitulé Le Livre de San Michele.

***
[ page 197 | 213 ]
« Dans le train, allant chercher Charles l’autre jour, j’ai découvert encore deux des raisons de mon attachement à ce livre. »
Voir Enfants de l’UGIF
***
Jeudi soir, 28 octobre
[ page 198 | 214 ]
« Je viens de passer un après-midi merveilleux, car j’ai eu ici des amies que j’aime : Mme Lavenu, M.-S. Mauduit *, Jeanine Guillaume, Catherine est venue aussi, pour entendre parler anglais. »
*Erreur de transcription : Hélène a écrit Mrs. Mauduit

Dans sa lettre à Odile datée du 4 octobre 1943, elle écrit :
J’ai aussi un récit d’expédition polaire que la lectrice d’américain, Mrs Mauduit (une adorable petite femme qui me fait penser à K. Mansfield) m’a envoyé lorsqu’elle a su que j’aimais les romans de mer.
S’agit-il de Jeanine Guillaume, 1904-1997, épouse de Jacques Bassompierre Sewrin (1903-1982) dont le père architecte, Joseph Bassompierre Sewrin (1871-1950), a participé à la construction de la Butte Rouge à Châtenay Malabry ?
Mme Lavenu et Catherine n’ont pas été identifiées.

Smithsonian American Art Museum

« Elle a emporté une partie de mon diplôme, La Chasse au Snark, et The Wind in the Willows – j’adore échanger ainsi. »
Le diplôme d’Hélène est son mémoire sur Shakespeare.

***
[ page 199 | 214 ]
« Ce matin, à neuf heures, j’étais aux Enfants-Malades pour prendre des nouvelles d’un de mes petits, j’ai traversé la salle avec ses petits lits blancs, et tous ces petits enfants dressés sur leurs oreillers. C’est lui, Doudou (Édouard Wajnryb) qui m’a reconnue (…) »
Hôpital des Enfants-Malades, 149 rue de Sèvres (15è) où exerce le Dr Robert Debré (1882-1978), père d’Olivier et médecin des enfants Berr. Ce dernier participe au réseau de sauvetage des enfants juifs et transforme le laboratoire de l’hôpital en atelier de faux papiers.
Edouard Wajnryb (1939-1944) demeurant au 23, rue Ruhmkorff, Paris (17è). Il est raflé le 16 juillet 1942 avec sa mère, Sarah « Suzanne » née Kouchelevitz en 1903, et son frère, Serge né en 1931. Sarah réussit à faire s’échapper Serge qui se réfugie dans une famille de fermiers, les Poignard, près d’Orléans. Edouard et Suzanne sont séparés. La mère est internée à Drancy d’où elle est déportée le 31 juillet 1943 par le convoi 58. Edouard est transféré à Drancy le 19 août 1942 puis être ensuite confié à la pouponnière de l’UGIF comme « enfant bloqué ». Plus tard, il est envoyé à la pension Syzman de La Varenne. Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, sur les ordres d’Aloïs Brunner, des SS arrêtent les enfants des foyers de l’UGIF. Au total 250 enfants, dont le petit Edouard, sont raflés, internés à Drancy et déportés le 31 juillet 1944 par le convoi 77. Ils sont gazés à leur arrivée à Auschwitz-Birkenau. Suzanne est revenue de déportation et a pu retrouver Serge ainsi que son mari. La famille s’est ensuite installée au Canada.
***
[ page 199 | 215 ]
Keter * est un des prisonniers britanniques du Fronstalag de Saint-Denis avec lesquels Hélène correspond. Elle parle de lui dans sa lettre du 7 septembre 1943 à Odile.
*Erreur de transcription : Hélène a écrit Keter

Transcription d’une carte écrite par A. Keter et adressée à Hélène :
Nom : A.Keter Ing. Chimiste
Matricule : Z.i. 1930
122 Gr. Caserne de St Denis
Seine
St Denis the 21/II/44
Dear Godmother,
Thank you so much for your kind attention recently I received : the two metronomes’ “music courses” and the rest. Everybody is pleased and all thank you very much indeed. As regard yourself and your frame of mind, I was not at all pleased. I gather your life outside is rather difficult, but, really, do not be so down-hearted and up-set. Your letter deeply moved me, above all that passage in which you say : “My brain is in such a muddle!” Be brave, as you always have been, and do gather up your pluck, so as to “pock-up your troubles in your old kit-bag” and “smile, smile, smile!” Dear godmother, I again thank you for all you are so kindly doing for me, and I wish you all the best. Until next visit. Cheer-up, cheer-up, there is silver lining in every cloud.
Yours sincerely and thankfully,
Godson A. Keter
Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job
« Après le déjeuner, été rue de la Bienfaisance parler à Mme Stern ; comme c’est triste, dans notre bureau, les avocats du service juridique se sont installés.»
Juliette Stern née Spanjaard (1893-1963)
Demeurant au 51, bd Murat, Paris (16è). Responsable du Service Enfance dit Service 42 de l’UGIF. Elle organise le réseau de placement d’enfants clandestin appelé Service 42b, détournant des fonds de l’UGIF pour rémunérer les familles d’accueil. Le Commissariat aux Affaires Juives la suspecte et contacte Röthke, le chef du département des Questions Juives à la Gestapo. Ce dernier fait arrêter les employés de l’UGIF présents rue de la Bienfaisance, le 30 juillet 1943. Juliette Stern échappe à la rafle car elle était à des funérailles à ce moment-là.
« Elle m’a appris l’arrestation de Léa et de toute sa famille, qui avait échappé à tant d’alertes, et à la rafle du 30 juillet. Cela m’a fait un choc. (…) »
Léa Itic, née à Paris le 11 mai 1923. Domiciliée au 125, boulevard Roger-Salengro, Noisy-le-Sec (Seine-St-Denis) avec ses parents, Isic né en Roumanie en 1889, et Marie née Berdah en Tunisie en 1899, ainsi que ses frère et sœurs, Bernard né en 1924, Suzanne née en 1926 et Paulette née en 1927. Secrétaire au service Assistance Sociale de l’UGIF rue de la Bienfaisance. Toute la famille est arrêtée le 19 octobre 1943, internée à Drancy avant d’être déportée par le convoi 64 du 7 décembre 1943. Aucun n’est revenu. Au domicile des Itic se trouvaient le neveu de Léa, Henri Clarka qui avait 6 ans, et deux cousins Marcel Landau, 17 ans, et sa sœur Marcelle, 12 ans. Ayant échappé à l’arrestation parce qu’ils ne portaient pas le nom de famille Itic, les deux garçons ont été cachés par le fiancé de Léa, Joseph Gautier (1917-2007), et Marcelle a été accueillie par les voisins, M. et Mme Fonce. En 2003, Joseph Gautier et ses parents, Alice et Joseph, ont été reconnus Juste parmi les Nations.

« Parlé de Mme Samuel. Elle a fini par être déportée.(…) »
Marguerite Samuel née Bloch ( 1907-1943) demeurant au 10, rue du Four, Paris (6è). Ingénieure chimiste, mariée à Pierre Samuel (1909-1960), pharmacien. Le couple a deux enfants, Denise née en 1931 et Jean-Pierre né en 1942. Marguerite rejoint l’UGIF afin de faire libérer son mari interné à Drancy. Deux mois après la libération de ce dernier, elle est raflée dans les locaux de l’UGIF le 30 juillet 1943. Elle est déportée par le convoi 60 parti le 7 octobre 1942. Elle réussit à jeter sur la voie ferrée une lettre adressée à son mari lui donnant les détails de son départ
***
Samedi 30 octobre
[ page 201 | 217 ]
« Deux péniches ont passé lentement, sans un bruit, seul le léger clapotis des longues ondes transversales mises en mouvement par le sillage du bateau, et qui venaient mourir sur la berge. »

Photo prise en juillet 1942 par André Zucca
***
[ page 202 | 218 ]
« En arrivant au pont de l’Alma, je regardais toujours l’eau. »

Photo prise par André Zucca sous l’Occupation
« Place de la Concorde, j’ai croisé tant d’Allemands ! avec des femmes, et malgré toute ma volonté d’impartialité, malgré mon idéal (qui est réel et profond), j’ai été soulevée par une vague non pas de haine, car j’ignore la haine, mais de révolte, d’écoeurement, de mépris. »

Photo prise par André Zucca

©André Zucca
***
[ page 204 | 219 ]
« J’ai acheté chez Galignani une belle édition du Sentimental Journey, et Lord Jim (pour moi). J’y resterais des heures, si je pouvais. »
***
[ page 204 | 220 ]
« En ressortant, j’ai traversé le pont de la Concorde et je suis montée chez Françoise voir Cécile (…) »
Cécile Cerisier née en 1895 est la domestique des Bernheim au 81, rue de Lille, Paris (7è).
***
[ page 205 | 221 ]
« C’est pour cela sans doute que je n’aime pas Gide, au contraire de Nicole. Après La Porte étroite, je lis L’Immoraliste. »
***
« Jean-Paul est là. Il était là hier lorsque j’étais rue Raynouard. J’étais excitée pour Nicole. »
Jean-Paul Lefebvre, fiancé de Nicole Schneider, s’est engagé dans la Résistance.
***
Dimanche 31 octobre
7 h 30
[ page 207 | 222 ]
« Nous venons de déchiffrer un quatuor, le VII de Beethoven. Annick était venue. »
Annick Boutteville
***
NOVEMBRE
Lundi 1er novembre
[ page 208 | 224 ]
« J’ai reçu ce matin une lettre de Mme Crémieux, qui laisse échapper cette phrase : je suis à bout de courage. »
Marie « Georgette » Crémieux née Parmentier, (1907-2004) demeurant 22, rue Fourcroy, Paris (16è). Seconde épouse de Gaston Moïse Crémieux, (1891-1942) avocat à la cour de Paris, arrêté en août 1941, interné à Drancy, où il occupe un poste de chef de service, puis est déporté de Beaune-la- Rolande par le convoi 5 du 28 juin 1942.
« Françoise disait d’elle un jour qu’on avait envie de l’embrasser. Elle me disait : « Vous savez, Hélène, elle est si malheureuse, elle souffre tellement. »
Françoise Bernheim
« Pendant un long temps après la rafle du 30 juillet, j’ai eu la sensation angoissante d’être restée la seule après un naufrage, une phrase dansait, frappait dans ma tête. »
Référence à la rafle au siège de l’UGIF, 29 rue de la Bienfaisance, durant laquelle ses collègues, dont Françoise et Mme Schwartz, ont été raflés.
***
[ page 209 | 225 ]
« De ce départ du 27 mars 42 (celui du mari de Mme Schwartz) , on n’a jamais rien su. »
Léon Schwartz (1899-1942), mari de Mme Schwartz, a été déporté par le convoi 1.
Au cours d’une réunion à laquelle participent les chefs des départements des affaires juives de France, de Hollande et de Belgique, le 4 mars 1942, Theodor Dannecker propose que 5000 Juifs soient déportés de la France, en plus des 1000 Juifs internés au camp de Compiègne dont le départ est déjà prévu pour la fin du mois de mars. Un télex dépêché le 25 mars 1942 statue que l’évacuation de 1115 Juifs, en plus des derniers 34 Juifs yougoslaves, serait effectuée par un train spécial composé de wagons de passagers. Ce train était réservé pour le 27 mars à 17h, à la gare du Nord de Paris. Le camp de Compiègne ne comprenant pas les 1000 Juifs requis pour la déportation, la moitié des déportés part de Drancy le 27 mars, avec une halte à Compiègne, avant de poursuivre sa route vers l’est.
Le 25 mars, André Tulard, sous-directeur au service des étrangers et des affaires juives à la préfecture de police, confirme auprès de Theodor Dannecker que dix autobus seront disponibles au camp de Drancy le 27 mars à 14h, pour le transfert des Juifs du camp à la gare. Il donne l’ordre au directeur de la PQJ (police aux questions juives), Jacques Schweblin, de fouiller minutieusement les déportés. Chaque Juif peut apporter un sac, mais il leur est strictement interdit d’apporter des objets en métal, à l’exception d’une cuillère. (…) Le train de déportation quitte Drancy le 27 mars 1942 à 17h et arrive à Compiègne à 18 h 40. Il part de Compiègne à 19 h 40 et arrive à Laon à 21 h 05. Il quitte ensuite Laon à 21 h 23 pour arriver à Reims à 22 h 25. Le train s’arrête à Reims pour la nuit, où un homme nommé Georges Rueff réussira à s’échapper. Le train quitte Reims à 9 h 10 le 28 mars et arrive à la frontière à Novéant (Neuburg) à 13 h 59. Le chef du convoi n’est nul autre que Theodor Dannecker lui-même. (…)
Le convoi arrive à Auschwitz le 30 mars à 5 h 33. Les 1112 Juifs déportés dans ce premier convoi sont sélectionnés pour les travaux forcés et tatoués des numéros 27533 à 28644. Selon l’historien Serge Klarsfeld, on dénombrait 23 rescapés de ce convoi en 1945. (Source : Yad Vashem)
***
[ page 210 | 225 ]
« Je ne veux pas penser à la Mort comme une personnification comme la Mort des Dürer et des hommes médiévaux, comme celle aussi d’Axel Munthe. »

A. Dürer (1513)
Axel Martin Fredrik Munthe, (1857 -1949) médecin et écrivain suédois, connu surtout pour être l’auteur du Livre de San Michele (1929), récit autobiographique sur son travail et sa vie.
***
[ page 211 | 227 ]
« J’ai parlé de la Vie des martyrs, ce cadeau de fête de Mme Schwartz. Ma fête, elle était déjà incomplète sans Jean, mais j’avais eu de la douceur tout de même, mes amies, et ses lettres aussi. »
un cadeau de fête est un cadeau d’anniversaire
***
[ page 211 | 228 ]
« Françoise Woog, toujours les mêmes gens. »
Françoise Woog (1914-2007) demeurant au 5, rue Péguy, Paris (6è). Petite-fille d’Emile Leven (1856-1932) frère de Berthe Rodrigues-Ely (1859-1943) qui était la grand-mère maternelle d’Hélène Berr. Sa tante, Sarah née Leven (1892-1975) est l’épouse d’Etienne Weill-Raynal. Docteure en médecine. Chef de service du centre national de transfusion sanguine à l’Hôpital des Enfants-Malades.
***
Mardi 2 novembre
[ page 213 | 228 ]
« Dans son enthousiasme, Dédé Kahn* m’a dit – je vois encore sa figure suppliante, ses yeux noirs, si noirs avec ses cheveux dorés, tout prêts à étinceler de rire : « J’voudrais que tu dormes près de moi ! » »
André KANE (1939-1944) né à Saint-Quentin (Aisne). Avant son arrestation, la famille demeurait au 40, rue des Glatiniers, Saint-Quentin (Aisne). Le père, Abram né en 1903, est déporté par le convoi 12 du 29 juillet 1942. Sa femme. Golda née Szapszowicz en 1906, est séparée de ses trois enfants au camp de Pithiviers pour être déportée par le convoi 26 du 31 août 1942. L’aîné de ses enfants, Leib né en 1929 est déporté le 4 novembre 1942 par le convoi 40 tandis que les deux plus jeunes, André et Renée, née en 1932, sont confiés à des foyers de l’UGIF, respectivement la pension Zysman à la Varennes et le foyer de Saint-Mandé. Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, sur les ordres d’Aloïs Brunner, des SS arrêtent les enfants des foyers de l’UGIF. Au total 250 enfants, dont les petits Kane, sont raflés, internés à Drancy et déportés le 31 juillet 1944 par le convoi 77. Ils sont gazés à leur arrivée à Auschwitz-Birkenau.
*Erreur d’orthographe d’Hélène
***
Mercredi 3 novembre
[ page 213 | 229 ]
« Après deux heures, je me suis aperçue de la vérité de cette phrase de Wolff : l’essence suprême de l’art de Keats, c’est sa puissance de suggestion. »
Lucien Wolff, auteur de John Keats, sa vie et son oeuvre, 1795-1821.
***
Jeudi 4 novembre
[ page 214 | 230 ]
« Mon sentiment avant : troisième année où je « rentre », sans pouvoir me mêler aux agrégatifs, en « amateur ». La rentrée va-t-elle encore avoir ce charme du nouveau cette année ? »
A cause de la loi du 21 juin 1941 – qui règle les conditions d’admission des Juifs dans les établissements d’enseignement supérieur et instaure un numerus clausus de 3 % applicable aux étudiants juifs – Hélène n’a pas pu s’inscrire aux cours de préparation à l’Agrégation. A la place, elle a a déposé un projet de thèse de doctorat consacré à Keats.
***
Vendredi 5 novembre
[ page 215 | 231 ]
« Cours de Mme Huchon.
Premier cours chez Nadine. »
Mme Huchon, professeure de thème oral à la Sorbonne. Elle est probablement liée au professeur dont parle Sylvia Beach dans ses mémoires Shakespeare and Company :
« From 9 o’clock, when dear M. Huchon, Anglo-Saxon professor at the Sorbonne, came to get a light novel for his English wife, till any hour up to midnight, students, readers, writers, translators, publishers, publishers’ travelers, and just friends were in and out. » (p.105)

Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job
Nadine Jourdan-Morhange, professeure de violon.
***
Samedi [ 6 novembre ]
[ page 215 | 231 ]
« Nadine Henriot, musique chez les Job. »
Nadine Henriot née Labey, 1915-2009, amie d’enfance de Françoise Bernheim. Sœur d’Yves Labey dont Hélène parle dans sa lettre à Odile Neuburger datée du 2 août 1937.
***
Dimanche 7 novembre
[ page 215 | 231 ]
« Charles et Simon (…) »
c.f. Enfants de l’UGIF
***
Lundi 8 novembre
[ page 216 | 232 ]
« Anna, que j’ai conduite à Rothschild, m’a parlé d’une de ses cousines (…) »
Anna Neishtat née en 1925, fille de Haïman Neishtat (1891-1942) et de Ryvka née Rykosynska (1891- ?), demeurant au 28, rue St Sébastien, Paris (11è). Haïman est interné à Pithiviers en août 1941 et déporté le 25 juin 1942 par le convoi 4. Sur sa fiche de recensement, tout comme sur son acte décès, il est indiqué qu’il est célibataire. Néanmoins, l’acte de décès sera remis à son épouse le 7 mai 1945. Anna est mère d’un petit garçon, Gabriel Guy, né le 20 avril 1943 à l’hôpital Rothschild. Ici, Hélène l’a probablement emmenée voir sa grand-mère hospitalisée ou internée à Rothschild.

(MK490_45-251 | folder 64.10)
À partir de 1941, l’hôpital Rothschild, seul hôpital où peuvent encore exercer des médecins juifs, devient un hôpital prison. Les malades aryens sont expulsés et l’hôpital est réservé aux juifs qui ne peuvent plus être admis dans les autres hôpitaux parisiens. Les autorités y transfèrent aussi avant leur déportation les malades juifs des camps d’internement, notamment du camp de Drancy.
***
Mardi 9 [ novembre ]
[ page 216 | 232 ]
« Ce matin, j’ai emmené aux Enfants-Malades une petite de 2 ans et demi, elle a l’air d’une petite Arabe. Elle pleurait tout le temps à l’hôpital en appelant « Maman » instinctivement (…) »

Source : Archives du Centre Marguerite, Yivo Institute for Jewish Research
(MK490_45-251 | folder 64.10)
Il s’agit probablement de Monique Hochberg, née le 15 janvier 1941 à Mouthiers (Charente). Fille de Noach (Norbert) Hochberg (1888-1942) et Hindla « Rose » née Weiss ou Bier (1907-1942). Avant la guerre, la famille est établie à Metz où sont nés Jacques (1925-1942) et Henri (1932). La famille compte également une fille aînée Betty. En 1941, ils déménagent vers Angoulême, à Mouthiers-sur-Boëme où naît Monique. Norbert et Rose sont arrêtés et déportés le 4 novembre 1942 par le convoi 40. Les deux plus jeunes enfants sont confiés à l’UGIF : Henri au centre Secrétan et Monique à la pouponnière de Neuilly. Monique et ses frères sont déportés dans le convoi 77 du 31 juillet 1944. En 1953, une demande de recherches a été déposée par Betty Gefeller née Hochberg. Elle vivait en Allemagne.
***
[ page 217 | 233 ]
« C’est toujours la même histoire de l’inspecteur de police qui a répondu à Mme Cohen*, lorsque, dans la nuit du 10 février, il est venu arrêter treize enfants à l’orphelinat, dont l’aîné avait 13 ans et la plus jeune 5 (des enfants dont les parents étaient déportés ou disparus, mais il « en » fallait pour compléter le convoi de mille du lendemain) : « Que voulez-vous, madame, je fais mon devoir ! »
Il s’agit probablement de Thérèse Cahen ( 1897-1944) demeurant au 5, rue Granville, Saint-Mandé (Val-de-Marne), surveillante générale de nuit au centre Guy-Patin, témoin de la rafle par des agents de la police judiciaire le 10 février 1943. Elle est ensuite directrice de la maison d’enfants de Saint-Mandé où elle est arrêtée et déportée avec les enfants le 31 juillet 1944 par le convoi 77.

BEZNOVENNU Sara, 10.03.31, Anvers
BOGAERT Marguerite, 10.12.28, Bruxelles
DON Esther, 27.08.31, Varsovie
LIPSZYC Jeanine, 26.08.39, Paris
MESSINGER Gisèle, 28.11.30, Essen
PEETERS Maria, 03.08.28, Bruxelles
RADOSZINSKA Estera, 25.09.27, Minsk
SALTIEL Betty, 23.08.29, Salonique
STERNCHUSS Lola, 27.08.36, Angers
STERNCHUSS Mina, 10.03.33, Angers
STERNCHUSS Simone, 29.11.38, Angers
Noms des fillettes inscrits sur la plaque posée au 9 rue Guy-Patin (10è). On y reconnaît les soeurs de l’Odette Sternchuss dont Hélène parle plus loin.
Ecouter le témoignage de Raymonde Nowodworski, née en 1929, qui était enfant bloquée au centre Guy-Patin et qui a assisté à la rafle.
***
Mercredi 10 novembre
[ page 218 | 234 ]
« Papa m’a lu la lettre sibylline d’Yvonne. Ils parlent de déménagements. »
Depuis le 11 novembre 1942, les Allemands occupent la zone libre . Cette occupation s’accompagne de persécutions intensifiées contre les Juifs obligeant ces derniers à se cacher.
***
Vendredi 12 novembre
[ page 219 | 235 ]
« Après le déjeuner, Mme Agache est arrivée comme une folle parce qu’elle venait d’apprendre que la jeune Mme Bokanowski, mise à l’hôpital Rothschild avec ses deux bébés pendant que le mari était déporté à Drancy, avait été ramenée à Drancy. »
Arlette Bokanowski née Davids (1902-1943) demeurant 97, rue de Prony, Paris (17è). Epouse de Jean Bokanowski (1910-1943), avocat à la cour, fils de Maurice Bokanowski (1879-1928) ministre du Commerce et de l’Industrie. Jean est déporté le 7 octobre 1943 par le convoi 60. Arlette est déportée avec ses deux enfants, François (1941-1943) et Marie (1943-1943), le20 novembre 1943 par le convoi 62.

***
[ page 221 | 237 ]
« À l’hôpital, ils ont repris hier quarante-quatre malades, dont un tuberculeux au dernier degré, deux femmes qui avaient encore des drains dans le ventre, une paralysée de la langue, une jeune femme sur le point d’avoir un enfant, et Mme Bokanowski. »
L’hôpital Rothschild est devenu l’annexe du camp de Drancy où les autorités viennent chercher des malades ou convalescents pour obtenir le nombre minimum de 1.000 personnes dont ils ont besoin dans le train de déportation.
Le convoi 62, dont fait partie Arlette Bokanowski et ses enfants, arrive à Auschwitz le 23 novembre 1943 où 241 hommes sont sélectionnés pour les travaux forcés et tatoués des numéros 164427 à 164667. Seulement 47 femmes sont sélectionnées pour les travaux forcés et tatouées des numéros 69036 à 69080.
Sam Braun, déporté avec sa famille par le convoi 62, remarque le nombre important de victimes dans son wagon :
« Je ne me souviens pas très bien de tous les détails. Au début, on ne pouvait pas s’asseoir tellement nous étions nombreux, serrés les uns contre les autres, tassés comme des bêtes. Puis, très vite, dès les premières heures, peut-être parce qu’une partie des gens présents dans ce wagon étaient assez âgés, il y a eu des morts. (…) Ces morts, les hommes les entassaient le long des parois du wagon comme ils l’auraient fait avec des mannequins ! Nous avons même pu nous allonger vers la fin de ce transport infernal, car les morts, dans notre wagon du moins, étaient nombreux. »
***
Samedi 13 novembre
[ page 223 | 239 ]
« Hier soir, j’ai lu Winnie-the-Pooh, que Jeanine Guillaume m’avait apporté. »

« Le matin, après ma leçon d’allemand, j’ai grimpé rue Rodier et à Lamarck, sous une pluie battante qui ruisselait le long des escaliers du Sacré-Coeur. »
Le vestiaire du centre 18 de l’UGIF était situé rue Rodier (9è). Comme le centre Guy-Patin, le centre de la rue Lamarck (18è) est régi par l’UGIF et accueille les « enfants bloqués ».

(MK490_45-251 | folder 64.10)
***
[ page 224 | 240 ]
« Je suis allée chez Galignani. Je n’ai pas trouvé Winnie- the-Pooh, mais j’ai trouvé Through the Looking-Glass (…) »


***
[ page 225 | 241 ]
« Tout cela est donc une tranche de vie morte, finie. Le bureau, Mme Schwartz, ses yeux gris toujours brillants de tendresse quand elle me regardait avec un sourire indécis. Françoise qui riait, qui entrait et sortait avec un papier à la main. Mme Robert Lévy, toujours grande et jolie et nette avec sa bonne humeur et son optimisme, Mme Cahen qui « whinait » [se plaignait] toujours au milieu de ses démêlés avec les coursiers, Jacques Goetschel qui entrait vérifier le fichier, Mme Horwilleur, déjà si énervée et accablée par les tristesses, tout cela se réveille en moi, mais comme une chose qui n’a plus de voix, un dumb show (…) »
Mme Robert Lévy est probablement Sophie Lévy née Dreyfus (1898-1943) demeurant au 13, boulevard Voltaire, Paris (11è). Femme de Robert Lévy (1887-1965).

Jacques Goetschel (1906-1943) demeurant au 47, rue de Miromesnil, Paris (8è). Imprimeur de profession. Le 30 mars 1943, il épouse Agnès Franquinet (1908-2001) alias Mlle Fontaine, membre du réseau « Cahors-Asturies ». Elle est arrêtée devant chez elle le 20 août 1943, internée à Fresnes puis Compiègne avant d’être déportée à Ravensbrück le 31 janvier 1944. Elle en revient en 1945.
***
[ page 227 | 242 ]
« Lorsque nous sommes entrés en juillet 42, juste après la rafle du 16, tous nos amis quittaient Paris affolés (…) »
Hélène fait référence à la rafle du Vel d’Hiv’ qui a eu lieu les 16 et 17 juillet 1942.
***
[ page 227 | 243 ]
« Rue Fourcroy, lorsqu’elle avait pris mon bras et était sous mon parapluie, un vieux grand parapluie à Bonne Maman, Mme Crémieux m’a dit : « Hélène, qu’est-ce qu’ils font par ce temps ? »
Mme Crémieux habite au 22 rue Fourcroy, Paris (16è).
***
Dimanche 14 novembre
[ page 228 | 243 ]
« Je suis partie de très bonne heure voir Mlle Ch. pour Charles. »
Mlle Ch. est Lucie Chevalley- Sabatier (1882-1979) présidente du Service Social d’Aide aux Emigrants, elle participe à la création de l’Entraide Temporaire dont font partie Antoinette Berr et ses filles.
Pour Charles, voir Enfants de l’UGIF

Source : Mémorial de la Shoah/coll. Mariette Job.
***
[ page 228 | 244 ]
« De là, je suis allée à Neuilly chercher la petite Odette pour la ramener à la maison. Une petite fille de 3 ans, avec des yeux de bleuet, des cheveux dorés comme un bébé anglais. Elle n’a pas parlé. Elle n’aimait qu’une chose visiblement, être dans les bras. »
Dans sa lettre du 16 novembre 1943, Hélène écrit à Odile Neuburger :
« Dimanche, j’ai ramené à la maison une petite fille de trois ans qui marche à peine (j’ai dû la porter d’ici au Trocadéro pour revenir) – un amour avec des yeux de bleuets et des cheveux blonds comme un petit REYNOLDS. »
Odette Sternchuss (1940-1944) demeurant au 52, rue des Petites-Pannes, Angers (Maine-et-Loire). Son père, Daniel né en 1893, est arrêté à Angers le 16 juillet 1942 et déporté par le convoi 8 du 20 juillet 1942. Odette, ses trois sœurs – Mina née en 1933, Lola née en 1936, Simone née en 1938 – et son frère, Nathan né en 1931, sont arrêtés le 9 octobre 1942 puis libérés de Drancy en novembre. Les enfants sont confiés à l’UGIF comme « enfants bloqués ». Mina, Lola et Simone sont envoyées au Foyer du 4, rue Guy-Patin où elles seront raflées le 10 février 1943 avant d’être déportées par le convoi 47 le lendemain. Leur grand-mère est dans le même convoi. Nathan est placé dans le foyer du 70, rue Secrétan tandis qu’Odette est confiée à la pouponnière de Neuilly-sur-Seine. Ils sont tous les deux raflés dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944 et déporté par le convoi 77 parti le 31 juillet 1944 de Drancy. Le sort de leur mère, Régina née Liebling en 1913, n’a pas été découvert.
« J’avais été mise en retard le matin par un coup de téléphone à Denise Mantoux, de passage à Paris, je la verrai la prochaine fois. »
Denise Mantoux (1912-1986) originaire de Cannes, fille du développeur du test de dépistage sérologique de la tuberculose Charles Mantoux (1877-1947). Décoratrice de profession, elle entre dans la Résistance en avril 1942 sous le pseudonyme, entre autres, de Dorine, par l’intermédiaire de Philippe Monod. Tout d’abord, dans un réseau d’évasion de pilotes anglais puis, comme Hélène qui ne le soupçonne peut-être pas, dans celui d’enfants juifs. A la Libération, elle est chargée par le Général de Gaulle de l’encadrement des déportés à l’hôtel Lutetia aux côtés de Marcelle Bidault et Sabine Zlatin. Elle est décorée de l’Ordre de la Libération.

***
[ page 229 | 244 ]
« C’était un jeune homme que nous envoyait Mlle Detraux, pour nous demander notre avis au sujet de deux enfants qu’il avait recueillis après l’arrestation du père (un médecin) de la mère et des deux plus jeunes, âgés de 12 mois et 2 ans.(…) »
André Malinsky (1906-194?) et sa femme Rose née Weissberg (1906-1943) demeurant au 171, faubourg Poissonnière, Paris (9è). Les époux sont tous les deux médecins et ont 4 enfants : Michel né en 1937, Pierre né en 1939, Geneviève née en 1940 et Catherine née en 1942. André est arrêté le 9 novembre 1943. Tandis qu’elle faisait les valises pour quitter l’appartement, et après avoir confié ses deux fils à des voisins pour être plus tranquille dans ses préparatifs, Rose est arrêtée avec ses filles par la police allemande le 13 novembre 1943. La famille est internée à Drancy avant d’être déportée par le convoi 62 du 20 novembre 1943.
***
Mardi 16 novembre
[ page 230 | 245 ]
« Boulevard de la Gare, où on a ouvert une succursale de Lévitan (centre où des internés de Drancy, « favorisés » parce qu’ils sont « conjoints d’aryens », trient et mettent en caisse les objets volés par les Allemands dans les appartements juifs et destinés à l’Allemagne) (…) »
« Le 18 juillet 1943, 180 internés quittèrent Drancy pour le magasin Lévitan du 85-87 rue du Faubourg-Saint-Martin (10è), aryanisé quelques jours auparavant. Le 1er novembre suivant, le second camp parisien, dit « Austerlitz », situé au 43 quai de la Gare (13è) reçut à son tour un groupe de près de 200 détenus. Dans ces deux lieux, les internés étaient soumis au travail forcé. Toute la journée, ils triaient, nettoyaient et réparaient objets et meubles pillés dans les appartements juifs. Le 15 mars 1944, un troisième camp, de taille plus réduite, vit le jour dans le 16e arrondissement, au 2 rue Bassano, dans un hôtel particulier aryanisé, ayant appartenu aux Cahen d’Anvers (Assouline 1997). Les couturières y confectionnaient des robes, des costumes et uniformes pour les Allemands. Différents artisans y fabriquaient ou y remettaient en état une large gamme de biens de qualité. Dans ces trois lieux, les détenus ont assisté à toutes les étapes de l’opération meuble qui au 31 juillet 1944 avait vidé 69 619 logements, chargé 674 trains et produit des valeurs pour un montant de 11 695 516 reichsmarks (…) »
« Là se trouvent M. Kohn, Édouard* Bloch, grand mutilé, comment fait-il ? Mme Verne, la femme du banquier. »
Georges Kohn (1885-1974) demeurant au 71, boulevard Saint-Michel, Paris (5è), ingénieur de l’Ecole Centrale, marié à Georgina Brown (1880-1961) et converti au protestantisme. Arrêté lors de « la rafle des notables » du 12 décembre 1941, il est interné au camp de Compiègne puis à Drancy dont il devient le chef de camp. En tant que conjoint d’aryenne, le 30 octobre 1943, il est transféré au camp annexe de Drancy, Austerlitz. En février 1944, il est à nouveau transféré dans un camp annexe de Drancy, Lévitan, d’où il s’échappe le 6 juin 1944. Il a consigné son expérience dans un journal en deux parties : Compiègne 12 décembre 1941 – 19 mars 1943 et Drancy 19 mars 1943 – 3 septembre 1943.

Edmond* Bloch (1884-1975) demeurant au 78, rue de Rivoli, Paris (4è), avocat parisien, blessé pendant la première guerre mondiale, décoré de la Croix de Guerre avec palme. Arrêté en août 1941 et interné à Drancy dont il est libéré en novembre 1942. De nouveau arrêté le 12 octobre 1943, il est interné au camp de la gare d’Austerlitz en tant que conjoint d’aryen, sa femme, Isabelle Moulier-Bloch (1883-1973), étant catholique. Il est libéré le 18 août 1944.
*Erreur de transcription : Hélène a écrit Edmond

Antoinette Vernes* née Goldet,1904-1961, épouse du banquier protestant Pierre Vernes (1899-1990). Internée à Drancy puis transférée au camp Lévitan en tant que conjointe d’aryen, elle est libérée fin 1943, peut-être sur l’intervention du neveu de son mari, Jean-Marc Vernes.
*Verne est une erreur d’orthographe
***
Mercredi 17 novembre
[ page 230 | 246 ]
« Une femme de coeur et d’intelligence voulait sauver Doudou ; je lui ai expliqué qu’il n’y avait rien à faire, qu’il était bloqué (…) »
Doudou est Edouard Wajnryb (1939-1944) demeurant au 23, rue Ruhmkorff, Paris (17è). Il est raflé le 16 juillet 1942 avec sa mère, Sarah « Suzanne » née Kouchelevitz en 1903, et son frère, Serge né en 1931. Suzanne réussit à faire s’échapper Serge qui se réfugie dans une famille de fermiers, les Poignard, près d’Orléans. Edouard
et Sarah sont séparés. La mère est internée à Drancy d’où elle est déportée le 31 juillet 1943 par le convoi 58. Doudou est transféré à Drancy le 19 août 1942 puis confié à la pouponnière de l’UGIF comme « enfant bloqué ».
Les enfants dits « bloqués » ont été internés puis libérés des camps par les allemands et placés sous la responsabilité de l’UGIF. Ces enfants sont fichés et « déportables » à tout moment.

RG210_serie 4 _37.2_Memoranda between service 40 and 42, 1942-43 (vue 59/97)
***
[ page 231 | 247 ]
« Elle a ajouté qu’il est fort probable qu’en reculant sur le front russe, les Allemands reviendront sur ces lieux, découvriront les cadavres, et proclameront que ce sont les bolcheviks pour faire peur à nos bons bourgeois. Qui sait si Katyn n’était pas leur oeuvre aussi ? »
Au printemps 1940, des milliers de prisonniers polonais sont assassinés par la police secrète soviétique. Staline fera accuser les nazis. Il faudra attendre un demi-siècle pour que l’Union soviétique admette enfin son rôle.
Que savaient les Alliés sur les camps et la Solution Finale au moment où Hélène écrit son journal ?
Le 16 septembre 1943, elle écrit à Odile :
« Françoise qui est si pleine de générosité, et d’idéalisme. Comme nous avons parlé de tout cela sur la route du plateau, à Aubergenville ! Comme elle doit souffrir. Pourquoi, pourquoi ? A cause d’un mensonge froidement réfléchi et calculé, créé par quelques hommes mauvais, qui a déclenché un engrenage de procédés et d’ordres transmis à des hommes qui ne pensaient pas – et qui aboutit à la destruction de vies bien plus nobles et précieuses. Je ne sais pas si tu as entendu ce que Rose [les Anglais] a dit du voyage récent d’Eliane [les Juifs] (avec Françoise). C’est sûrement vrai, car cela correspond avec plusieurs bruits et échos. Depuis que l’on me la raconté, j’en suis hantée. Et dire qu’il y a des gens qui n’y pensent pas, et d’autres qui ne savent pas. »
Grâce à l’organisation de renseignements du gouvernement polonais en exil, les Anglais reçoivent dès 1942, des rapports sur l’activité des camps d’extermination. En juin 1942, la BBC annonce que 700.000 Juifs ont été assassinés. Le 15 novembre 1942, les réseaux de résistance polonais déclarent que des dizaines de milliers de Juifs ont été exterminés dans les chambres à gaz. Le 23 mars 1943, le directoire de la résistance civile en Pologne annonce la construction d’un nouveau four crématoire à Birkenau qui fait environ 3.000 victimes par jour. Cette annonce paraît à Londres en avril 1943 dans un bulletin intitulé Poland Fights. Durant l’été 1943, Washington reçoit des informations très précises sur le processus de mise à mort à Treblinka et Auschwitz-Birkenau. Le nombre de victimes juives jusqu’en décembre 1942 est estimé alors à 520.000.
André Lemierre* (1875-1956), bactériologiste, chargé de visiter des camps de prisonniers en janvier 1942 afin de s’assurer que tous les moyens pour lutter contre le typhus étaient mis en place.
*Erreur de transcription : Hélène a écrit Lemierre

***
Mercredi 24 novembre
[ page 232 | 248 ]
« Comment Mme Weill, par exemple, la mère de Mme Schwartz, que j’ai vue hier matin, ne devient-elle pas folle ? Comment la vieille Mme Schwartz, avec deux fils déportés, une belle-fille déportée, un gendre prisonnier, une fille internée, et un mari gâteux, ne devient-elle pas folle ? »
Mélanie Weill née Kahn, 1882-1958, demeurant au 15, rue de la Tour-d’Auvergne, Paris (9è). Mère de Thérèse Schwartz. Après la déportation de sa fille, elle s’occupe de ses petits-enfants Danielle et Pierre Schwartz.
Rosette Schwartz née Geismar (1871-1957) demeurant au 16, rue de la Tour-d’Auvergne, Paris (9è). Epouse de Samuel Schwartz (1867-1955). Son fils Léon Schwartz (1899-1942) est déporté par le convoi 1, le 27 mars 1942. Son fils Lucien Schwarz (1902-1942) est déporté par le convoi 36, le 23 septembre 1942. Sa belle-fille Thérèse Schwartz née Weill (1905-1943) est déportée par le convoi 59, le 2 septembre 1943. Sa fille Suzanne Meyer (1903-1993), dont le mari Gaston Léon Meyer est prisonnier de guerre, est internée à Drancy avant d’être déportée à Bergen-Belsen d’où elle revient.
***
Vendredi 26 novembre
[ page 234 | 249 ]
« Nuit mauvaise ; j’ai cru que j’allais avoir une otite, tellement j’ai eu mal à l’oreille, comme il y a deux ans, au moment de ce sinistre 12 décembre. »
Le 12 décembre 1941, les autorités allemandes, avec le concours de la police parisienne, ont organisé la première rafle d’envergure ciblant exclusivement des hommes juifs de nationalité française issus de l’élite intellectuelle. C’est la rafle des Notables. 743 personnes sont regroupées à l’École militaire et transportées le lendemain au camp militaire allemand de Royallieu à Compiègne. Georges et Robert Dreyfus, les cousins de Raymond Berr, en font partie.
***
Dimanche midi 28 novembre
[ page 235 | 250 ]
« Tante Marianne a l’air crucifiée. Elle est la seule qui reste de cette génération, maintenant, et c’est là le grand drame. Oncle Émile, Bonne Maman, Tante Laure, tous disparus. »
Marianne Mayer née Leven (1866-1957) sœur de la grand-mère maternelle d’Hélène, Berthe Rodrigues-Ely (Bonne Maman).
Emile Leven (1856-1932) frère de Bonne Maman.
Laure Nathan née Rodrigues-Ely (1849-1932) sœur du grand-père maternel d’Hélène, Camille Rodrigues-Ely (1854-1922). Grande amie de Jeanne Weill-Proust, la mère de Marcel Proust.
***
Lundi soir, 29 novembre
[ page 237 | 253 ]
« Je pense à l’hospice qui était notre terreur pour elle, cette maison de misère où il y a déjà tant de gens qui souffrent.»
L’hospice de l’hôpital Rothschild.
***
[ page 238 | 254 ]
« Pauvre Mme Basch hier ! qui a dit que Bonne Maman était la seule heureuse ; elle était brisée, d’angoisse pour son mari, de souci pour ses parents qui ont 85 ans, de l’effort qu’il faut faire pour leur jouer la comédie. »
Suzanne Basch née Cahen dit Nathan (1887-1985) demeurant 15, avenue de la Bourdonnais, Paris (7è), fille de l’éditeur Fernand Nathan. Epouse d’Eugène Basch, ingénieur chimiste, déporté le 23 septembre 1942 par le convoi 36.
***
Décembre
Lundi soir, 6 décembre
[ page 242 | 258 ]
« J’ai trouvé en rentrant un pneu de la mère de Mme Schwartz me disant qu’elle venait de recevoir une carte de sa fille du 25 octobre de Birkenau. Françoise embrasse son père. Mme Robert Lévy et Lisette Bloch sont avec elles. »
Birkenau (Auschwitz II) est établi en octobre 1941, à trois kilomètres d’Auschwitz. C’est le plus grand des camps de concentration et d’extermination établis sur le sol polonais, sert à la fois de camp de travail et de site d’extermination rapide pour les Juifs. Choisi pour être le lieu central de l’annihilation du peuple juif, il est équipé de plusieurs structures d’extermination ainsi que de fours crématoires. L’extermination se fait au moyen d’un gaz du nom de Zyklon B, une substance qui a déjà été testée sur des prisonniers de guerre soviétiques. L’extermination y débute en mars 1942. Il y a dans le camp quatre chambres à gaz utilisant du Zyklon B. Jusqu’en novembre 1944, le camp fonctionne comme une usine de mort, réceptionnant des convois en provenance de toute l’Europe. Visiter le site Mémoires des Déportation. 1939-1945 réalisé par l’ Union des déportés d’Auschwitz.
Lisette (sic) Bloch est probablement Julie « Aline » née Bloch (1909-1943) demeurant au 19, rue Lagrange, Paris (5è). Linette* doit être le diminutif d’Aline. Aline Bloch était mariée à Léopold Bloch (1902-1983). Secrétaire à l’U.G.I.F., elle est arrêtée le 30 juillet 1943 avec ses collègues et déportée par le convoi 59 du 2 septembre 1943.
*Erreur de transcription : Hélène a écrit Linette

« Je m’arrête pour réfléchir comment je pourrais prévenir Cécile, Nadine, Monique de Vigan »
Cécile Cerisier est la domestique de Françoise Bernheim. Nadine Henriot et Monique de Vigan sont des amies de Françoise.
***
[ page 243 | 258 ]
« J’irai rue de Lille demain matin à la première heure. De chez les Ébrard, j’ai appelé les Canlorbe. C’est le mari de Nicole qui a répondu. »
81 rue de Lille est l’adresse à Paris de Françoise Bernheim.
Les Ebrard sont les voisins des Berr avenue Elisée-Reclus. N’étant pas juifs, ils ont toujours un poste téléphonique.
Nicole Canlorbe (1914- 2004), Catherine Canlorbe (1916-2011) et leur mère Simone Canlorbe, demeurant au 16, rue Franklin, Paris (16è). Nicole est allée au cours Boutet de Monvel avec Françoise Bernheim. Simone a caché André Bernheim après sa libération de Drancy. Nicole a épousé Charles Thellier de Poncheville (1912- 1945). Le couple vivait à Lille mais s’est installé à Paris pendant l’Occupation. Résistant, Charles est déporté et meurt le 3 mai 1945 lors du bombardement accidentel du Cap Arcona par les Anglais.
***
Mardi soir, 7 décembre
[ page 243 | 258 ]
« Jacques vient d’écrire deux lettres exaltées de tendresse à Maman. Son professeur, M. Collomp, a été abattu sauvagement à coups de revolver à Clermont-Ferrand (…) »
Paul Collomp (1885-1943) spécialiste de l’Egypte hellénistique, professeur en papyrologie et Grec à l’université de Strasbourg qui se replie à Clermont- Ferrand dès 1939 pour échapper à l’occupant. Membre du réseau Action du BCRA, il est assassiné lors de la rafle menée par la Gestapo contre les résistants le 25 novembre 1943.
***
[ page 244 | 259 ]
« Je quitte Mme Lehmann, très découragée par un vilain tour que lui a fait son associée, en vendant le fonds de leur affaire à son insu. »
Suzanne Lehmann née May en 1898, mère de Cécile qui a été déportée le 18 juillet 1943.
« Cette parole, je l’ai lue il y a quelque temps dans un roman russe – je crois Le Duel de Kouprine – une citation de Tchekhov : « Nous nous reposerons, oncle Vania, nous nous reposerons. »

***
[ page 244 | 260 ]
« À Kiev, ils ont massacré vingt mille juifs. À Fhéodisia en Crimée, douze mille en une nuit. »
Hélène fait référence à ce que nous appelons aujourd’hui la Shoah par Balles dont le massacre de Babi Yar, près de Kiev, est le premier épisode. Les 29 et 30 septembre 1941, les unités mobiles d’extermination allemandes, les Einsatzgruppen, exécutent 33 000 victimes juives au bord du ravin. (Qu’est-ce que la Shoah par balles ? Interview de Marie Moutier-Bitan)
« J’ai couru toute la journée. Pris cinq fois le métro ce matin, pour procurer à M. B. la joie de joindre un mot à la réponse de Mme W. »
André Bernheim, le père de Françoise, et Mélanie Weill née Kahn, la mère de Thérèse Schwartz.

Source : Archives de Paris (9M 330, vue 13/27)
***
[ page 245 | 260 ]
« Évasion de Jean C. S. Récit extraordinaire. »
Jean Cohen-Salvador (1908-1995) membre du Conseil d’Etat, suspendu par les Statuts des Juifs. Arrêté à Carcassonne où il s’est réfugié, il est interné au camp de Drancy en septembre 1943 où il participe au creusement d’un tunnel clandestin. Déporté par le convoi 62, parti le 20 novembre 1943, il sera l’un des 19 hommes qui s’en sont évadés.
***
Lundi soir, 13 décembre
[ page 245 | 261 ]
« Aujourd’hui, à l’Institut, Lucie Morizet m’a attendue exprès (…) »
Lucie Morizet (1922-2014) demeurant au 30, quai de Béthune, Paris (4è). Fille d’André Morizet (1876-1942), Sénateur de la Seine, protestant, socialiste et membre fondateur du PCF et petite-fille du peintre impressionniste, dreyfusard, Edouard Debat-Ponsan. Cousine d’Olivier Debré.
***
[ page 247 | 262 ]
« Matériellement, il y a d’immenses obstacles, se cacher, mais alors se cacher tous, les parents, Denise, les S. »
Les Schneider dont Nicole, Auntie Ger et Oncle Jules.
« Denise, dans son état, on la séparera de François. »
Denise est enceinte de son premier enfant, Nadine. Les femmes enceintes étaient internées à l’hôpital Rothschild.
***
22 décembre
[ page 250 | 265 ]
« (…) tandis que Maman, Denise, Andrée et son mari étaient à l’appartement, François et Papa chez Robert L. Il a fallu supporter la visite des Robert Wahl. »
Il s’agit peut-être de Robert Loiselet chez qui Raymond et Antoinette Berr passent souvent la nuit pour échapper à une arrestation.
Robert Wahl (1897-1975). médecin à l’hôpital des Enfants-Malades puis biologiste à l’Institut Pasteur.
***
« Hier soir, Maman m’a dit que les André Baur avaient été déportés, avec leurs quatre petits enfants. Cela me hante. »

Pierre (1933-1943), Myriam, (1934-1943), Antoine (1937-1943), Francine (1940-1943)
***
Lundi 27 décembre
[ page 250 | 266 ]
« Hier, c’était l’arbre de Noël ici. Je dis bien (sic) mais il y a eu à peine de discontinuité entre ces deux jours (…) »
*Erreur de transcription : Hélène a écrit « Je dis hier…»

« Je suis allée chercher Pierre et Danielle.»
Pierre et Danielle Schwartz sont les enfants de Thérèse et Léon Schwartz. Les deux parents ont été déportés.
***
[ page 251 | 266 ]
« Aujourd’hui, à deux heures, je me préparais à m’en aller pour ma leçon d’allemand, Odile est arrivée. »
Lettre à Odile datée du 10 janvier 1944 :
Il me semble que nous n’avons pas assez profité l’une de l’autre cette fois-ci. Nous n’avons pas eu le temps – je suis arrivée au bout de trois jours avec l’impression affolante que l’on éprouve dans ces rêves où on arrive au bachot sans rien avoir appris ; le temps m’a littéralement filé entre les doigts. Mais n’aie pas de regrets ; c’était si bon de se voir, de se regarder, et d’entendre simplement ta voix ; évidemment presque rien n’a été dit – mais pour cela n’avons-nous pas les lettres ? L’important, au fond, c’était de nous voir ; et je crois qu’après tout nous n’avions pas tant de choses à nous dire ; il n’y avait pas de grands trous à combler, comme la première fois. Et peut-être ces journées ont- elles été ce qu’elles devaient être ; pour moi, elles restent un souvenir très doux, malgré leur brièveté. Comme toi je pense que la prochaine fois que nous nous verrons, le cap terrible aura été franchi. Cette idée-là me remplit de joie. Le cap sera terrible, plus nous en approchons (et c’est une question de 3 mois), plus j’en distingue les contours nettement – Trois mois, c’est très long lorsque l’on s’est fixé un délai arbitrairement par l’espoir et que l’on ne s’appuie sur aucune certitude extérieure ; mais lorsque cette certitude est atteinte, cela devient excessivement court – du moins, telle est mon impression maintenant.
***
Vendredi 31 décembre
[ page 252 | 267 ]
« (…) je dois aller à l’hôpital voir Michèle Varadi »
Michèle Varadi (1939-1944) demeurant au 6, rue Paul-Bert, Colombes (Hauts-de-Seine). Son père, Max né en 1904, est arrêté lors de la rafle du Billet Vert de mai 1941 et interné au camp de Beaune-la-Rolande avant d’être déporté par le convoi 7 parti le 19 juillet 1942. Michèle et sa mère Hermine, née Breiner en 1899, sont raflées le 16 juillet 1942 et internées à Pithiviers. Hermine est déportée le 3 août 1942 par le convoi 14. Michèle reste dans le camp seule avant d’être hospitalisée pour une otite à l’hôpital de Pithiviers début septembre. Elle est ensuite conduite à Drancy d’où elle est libérée pour être confiée à la pouponnière de Neuilly en tant qu’« enfant bloquée » en octobre 1942. Sara Schouker, infirmière de l’UGIF, sort l’enfant et ne la ramène pas au centre. Les Allemands menacent de rafler tous les orphelins si Michèle n’est pas ramenée. Sara ne se pardonnera jamais de ne pas avoir pu la sauver. Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, sur les ordres d’Aloïs Brunner, des SS arrêtent les enfants des foyers de l’UGIF. Au total 250 enfants, dont Michèle, sont raflés, internés à Drancy et déportés le 31 juillet 1944 par le convoi 77. Ils sont gazés à leur arrivée à Auschwitz-Birkenau.
« (…) Darnand vient d’être nommé commissaire au Maintien de l’ordre. Je ne sais pas qui c’est, sinon un de ces gangsters protégés par les nazis qui surgissent partout. »
Joseph Darnand, ultra de la collaboration, a créé en janvier 1943 la Milice française pour lutter contre les maquis et la Résistance. En décembre 1943, il entre dans le gouvernement de Vichy comme secrétaire général au Maintien de l’ordre. La Milice intensifie dès lors son action contre les résistants et les juifs.

***
[ page 253 | 268 ]
« L’autre chose, c’est le discours du Gauleiter Sauckel d’un bout à l’autre dirigé contre « les juifs »
Fritz Sauckel (1894-1946) Officier nazi en charge de la mobilisation de la main d’œuvre au service de l’effort de guerre du Reich.
***
[ page 254 | 269 ]
« Je me souviens de ce mot de Lefschetz lorsque nous étions rue Claude-Bernard, et que ses discours en faveur du sionisme m’avaient révoltée (…) »
Emmanuel Lefschetz (1898-1982) dirige les foyers de la rue Claude-Bernard.






















