– 1942 –

La pagination indiquée se réfère aux deux éditions du Journal d’Hélène Berr. Dans l’ordre : [Tallandier | Points].

La mention « Erreur de transcription » provient d’une comparaison entre la version publiée et la version manuscrite du journal disponible au Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

La majorité des photographies montrant Paris sous l’Occupation sont l’oeuvre du très controversé André Zucca. « En août 1941, il devient correspondant du magazine de propagande allemand nazi Signal, obtenant ainsi un laisser passer, des pellicules noir et blanc et la très rare pellicule Agfacolor. En octobre 44, il est arrêté puis relâché, les poursuites contre lui étant abandonnées en 1945. » Malgré tout, nous avons fait le choix d’utiliser son travail comme un document historique qui nous permet d’entrevoir ce Paris dont parle Hélène dans son journal.

Malgré tout le soin que nous y avons mis, les annotations du journal procèdent de recherches et de recoupements qui ne garantissent pas la véracité des informations retenues. Si vous remarquez des erreurs, nous vous saurions gré de nous contacter afin que nous apportions les rectifications nécessaires. De même, si la publication de certaines informations constituent une atteinte à la vie privée, veuillez nous contacter avec en intitulé «Objet : Demande de droit d’effacement». Par ailleurs, si vous possédez des informations supplémentaires que vous souhaitez partager, nous serons heureux de les héberger sur le site. Cliquez sur Contact


AVRIL

Mardi 7 avril
4 heures

[ Tallandier page 17 | Points page 17 ]

« Je reviens… de chez la concierge de Paul Valéry. Je me suis enfin décidée à aller chercher mon livre. »

Paul Valéry (1871-1945)
Ecrivain et membre de l’Académie Française.

Paul Valéry en 1938 à Paris
par Gisèle Freund (1908-2000)

Livre retrouvé dans la bibliothèque de Jean Morawiecki par Mariette Job après sa disparition en octobre 2008
Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job

[ page 18 | 18 ]

« Maintenant, j’attends Miss Day qui doit venir goûter. »

Miss Day donne des cours particuliers d’anglais à Hélène.

« Demain, nous devons aller faire un pique-nique à Aubergenville avec François et Nicole Job, Françoise et Jean Pineau, Jacques Clère.»

Aubergenville fait référence à la propriété des Berr, le château du Vivier. Ce dernier est aujourd’hui ouvert au public.

François Job (1918-2006) est le fiancé de Denise Berr (1919-2011), la soeur d’Hélène. Ils se marient le 11 août 1943.

Nicole Job (1916-1991) est l’une des deux soeurs de François et une grande amie de Denise Berr.

Françoise (1918-1997) et Jean Pineau (1921-2009), demeurant au 37, avenue Duquesne, Paris (7è). Ils sont les enfants de Louis Pineau (1888-1950) directeur de l’Office National des combustibles liquides, et Suzanne née Bastard (1892-1980). Les Pineau sont des amis de la famille Berr.

Jacques Clère – S’agit-il de Jacques Clère,1920-2000, futur égyptologue ?

Jean Morawiecki, François Job, Hélène et Jean Pineau à Aubergenville
Source : Mémorial de la Shoah/coll. Mariette Job

Mercredi 8 avril
[ page 20 | 20 ]

«Et puis en rentrant j’ai trouvé une carte d’Odile et une carte de Gérard, celle-ci méchante, blessante. »

La carte mentionnée par Hélène est probablement celle qu’Hélène lui a écrite le dimanche 5 avril 1942 et envoyée le lendemain :

Souce : Archives familiales | A. Hyafil

[ page 20 | 20 ]

« (…) la promenade jusqu’à Nézel sous un ciel lavé, et un horizon de plus en plus large et lumineux »

Nézel est un village situé à environ 3 kms d’Aubergenville où se trouve la propriété familiale, le château du Vivier.

« (…) le retour avec Denise et les deux Nicole serrées sur une banquette pour que Job puisse se placer avec nous, mes joues brûlantes »

Nicole Job (1916-1991), soeur de François Job, le fiancé de Denise Berr et Nicole Schneider (1922-2019), cousine germaine d’Hélène.

Hélène, sa mère Antoinette, sa soeur Denise, Jean Morawiecki et Nicole Job
Source : Mémorial de la Shoah/coll. Mariette Job

Jeudi matin, 9 avril
[ page 21 | 21 ]

Samedi 11 avril
[ page 22 | 22 ]

« J’en ai tellement assez de cette situation fausse, fausse vis-à-vis de lui, fausse vis-à-vis des parents, fausse vis-à-vis de Denise, de Nicole, d’Yvonne. »

Denise Berr, Nicole Schneider et Yvonne Berr (1917-2001), la soeur aînée d’Hélène. Yvonne a épousé Daniel Schwartz (1917-2009) le 28 juillet 1939

[ page 24 | 24 ]

Journal Officiel de la République Française du 19 avril 1941

« Papa a reçu un avis de spoliation » :

Le statut du 3 octobre s’articule autour de deux
points principaux : le premier définit qui est
dorénavant juif ; le second vise à ôter « toute
influence politique aux Juifs » en édictant des
interdictions professionnelles. Raymond Berr a
probablement reçu un avis de spoliation lui
interdisant de garder son poste à la tête des Ets.
Kuhlmann. Toutefois, deux jours après la
rédaction de cette entrée du journal, le Maréchal
Pétain accorde officiellement une exemption à
Raymond Berr. Cela n’empêchera pas la
spoliation économique dont les Berr seront
victimes comme l’avis du Journal Officiel du 26
mars 1943 en témoigne :

Mercredi 15 avril
[ page 26 | 26 ]

La carte est de Gérard Lyon-Caen.

Mercredi 15 avril
[ page 27 | 27 ]

« J’ai travaillé aussi tout l’après-midi, à taper mon chapitre sur Brutus »

Hélène est étudiante en littérature anglaise à la Sorbonne. Elle obtient sa licence d’anglais avec la mention « Très Bien » en 1941. En juin 1942, elle remet son mémoire intitulé « L’interprétation de l’histoire romaine dans Shakespeare » sous la direction de Floris Delattre. Elle obtient 18/20 et le diplôme d’Etudes Supérieures de langue et littérature anglaises.

Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job


Elle est également bibliothécaire bénévole à l’Institut d’Anglais de la Sorbonne.

Un amphithéâtre de l’université Paris- Sorbonne (site Clignancourt) et la médiathèque située au 70, rue de Picpus dans le 12ème portent aujourd’hui son nom.

Jeudi 16 avril
[ page 28 | 28 ]

Hélène donne souvent à ses amis le nom de héros de roman. Ici, André Bay est Sparkenbroke, d’après le roman de Charles Morgan (1936).

André Bay, né André Dupont, (1916-2013) fils de l’écrivaine Camille Belguise (1894-1980), beau-fils de l’écrivain et éditeur Jacques Boutelleau (son nom de plume est Jacques Chardonne). Ce dernier dirige les éditions Stock. Ardent pétainiste, il rencontre, avec sept autres écrivains, Goebbels en Allemagne en octobre 1941. L’année suivante, il préside la deuxième délégation. Son texte Le Ciel de Nieflheim, écrit en 1943, est une apologie du National-Socialisme. A la Libération, il est jugé, interdit de publication mais bénéficie d’un non-lieu en 1946.

André Bay sera écrivain, traducteur de F.S. Fitzgerald, Lewis Carroll et Jonathan Swift, entre autres. Il dirigera les éditions Stock, à la suite de son beau-père, où il éditera de grandes écrivaines dont Pearl Buck, Anaïs Nin et Katherine Mansfield.


Dans son journal, Hélène le surnomme Sparkenbroke /Spark ou l’appelle André Boutelleau.

« Je suis montée un instant à la bibliothèque, en redescendant j’entendais quelqu’un chanter à tue-tête dans l’escalier. C’était Escarpit, qui était en bas, avec sa fiancée. Il chantait, probablement parce qu’il était content ; content de son bonheur, de son travail. C’est un garçon merveilleusement équilibré. Il a beau ne pas être très cultivé, il respire la santé morale, intellectuelle. Je me suis arrêtée net en bas de l’escalier en le reconnaissant. Il a ri, sans être le moins du monde gêné, j’ai ri, sa fiancée a ri. Une vague de sympathie m’a envahie. »

Robert Escarpit (1918-2000) élève de l’Ecole normale supérieure, il obtient l’agrégation d’anglais en 1942 et devient professeur de littérature comparée. Sa fiancée, Denise Dupont (1920-2015), devient sa femme le 22 août 1942.

Louis Cazamian (1877-1965) demeurant 11, rue Monticelli, Paris (14è), né à Saint-Denis de la Réunion, spécialiste de la littérature anglaise, professeur à La Sorbonne. Il fera une traduction de Prometheus Unbound de Shelley en 1942.

Louis Cazamian (debout au dernier rang, à g.), sa fille Marguerite dont parle Hélène (1ère à g., 3ème rang), sa femme Madeleine née Clédat (1ère à gauche au 2ème rang) et leur seconde fille Jeanne
(au centre, debout)

A sa mort, Robert Escarpit écrira dans le journal Le Monde (18 sept. 1965) :

« Dans la retraite et le silence, Louis Cazamian vient de s’éteindre à l’âge de quatre-vingt-huit ans (1). Avec lui, disparaît le dernier de mes maîtres de la Sorbonne. Maître, il l’a été pour moi du moment où, pour la première fois en 1938, j’ai entendu un de ses cours, jusqu’à l’ultime lettre qu’il m’écrivit vingt-deux ans plus tard d’une écriture qui avait la même netteté, la même précision appliquée que son style d’enseignement.


[ page 29 | 29 ]

« À partir de la rue Soufflot, jusqu’au boulevard Saint-Germain, je suis en territoire enchanté. Aussi ai-je à peine été étonnée lorsqu’en quittant Maman à l’arrêt de l’S, je suis tombée en plein sur Jean Pineau. »

Ligne S ou ligne de Sceaux dont le dernier arrêt était Luxembourg


Floris Delattre (1880-1950) est professeur à la Sorbonne, spécialiste de littérature anglaise, il est aussi l’auteur d’un ouvrage sur Marcel Proust et Henri Bergson. Bergson est l’oncle de son épouse, Henriette née Eisenchitz, laquelle est également la cousine de l’amie d’Hélène, Odile Neuburger.


[ page 30 | 29 ]

Françoise Masse (1920-2005) est la fille de Roger Masse (1884-1942) et de Suzanne née Bechmann (1887-1927). Nièce du sénateur Pierre Masse et de Germaine Lyon-Caen. Etant déjà orpheline de mère, après l’arrestation de son père le 12 décembre 1941 lors de la rafle des Notables, elle s’est probablement réfugiée au 123, rue de Longchamp, Paris (16è), chez son oncle et sa tante, Léon et Germaine Lyon-Caen. Ces derniers sont aussi les parents du fiancé d’Hélène, Gérard.

[ page 30 | 30 ]


Chantecler et Pertelope est un des contes des Canturbury Tales de Chaucer.

« Au Luxembourg, nous nous sommes arrêtés au bord du bassin, où voguaient des dizaines de bateaux à voile ; je sais que nous avons parlé, mais je n’ai plus qu’un souvenir de la fascination qu’exerçait sur moi l’étincellement de l’eau sous le soleil, le clapotis léger et les rides qui étaient pleines de joie, la courbe gracieuse des petits voiliers sous le vent, et par-dessus tout, le grand ciel bleu frissonnant. Autour de moi, il y avait une foule d’enfants et de grandes personnes. Mais c’était l’eau étincelante, dansante qui m’attirait.»

Le bassin du Luxembourg
Photographié par André Zucca en mai 1942.

[ page 31 | 31 ]

Jacques Weill-Raynal (1914-1987) est le cousin des jumelles Emmeline (1921-2018) et Marianne Weill-Raynal, (1921-1944) qui sont aussi les petites-cousines d’Hélène dont elle est très proche.

« Puis, après, [André Bay] m’a dit qu’il ne voudrait pas rencontrer sa femme ; comme il m’en avait toujours parlé avec désinvolture, j’ai essayé sur le même ton de dire : « Pourquoi ? elle serait fâchée. » Mais il m’a dit alors qu’elle attendait un enfant et qu’elle était assez nerveuse. »

En novembre 1939, André Bay a épousé Odette Desmond. Leur fille Claire naît le 2 août 1942.

« Au bas du boulevard Saint-Michel, nous parlions de notre philosophie de la vie (…) »

Boulevard Saint-Michel sous l’Occupation
Photographié par André Zucca

[ page 32 | 32 ]

Ticket de métro (2ème classe)

[ page 33 | 32 ]

« Avec Françoise Masse, j’ai parlé longtemps, beaucoup ; je lui ai montré mes livres, mon diplôme. Par moments, j’avais conscience du désespoir qui me guettait. Lorsqu’elle m’a dit que Georges avait écrit que Gérard était de plus en plus misanthrope, j’ai été blessée au vif, parce que j’étais à vif. »

Le mot diplôme renvoie au mémoire qu’Hélène est en train de rédiger et intitulé « L’interprétation de l’histoire romaine dans Shakespeare ».

Mémoire avec annotations d’Hélène
Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job


Dimanche 19 avril
12 heures

[ page 33 | 33 ]

Le cabinet du Dr Redon est situé rue de la Chaise, Paris (7è).

Le mot chapitre renvoie à son mémoire « L’interprétation de l’histoire romaine dans Shakespeare » qu’elle rendra en juin.

« Lisette Léauté, qui s’était naturellement trompée de dimanche pour l’orchestre, est venue bavarder avec moi dans ma chambre ; j’étais décoiffée, sans bas, mais avec les Léauté, tout cela importe peu. C’était très agréable. »

Lisette Léauté (1921-2017) et ses soeurs sont des amies d’enfance d’Hélène. Elles ont toutes fréquenté le cours Boutet-de-Monvel. La famille Léauté demeure au 1, rue du Maréchal-Harispe, Paris (7è) à quelques pas de la résidence des Berr avant de déménager, probablement pendant l’Occupation, au 5, rue des Ursulines, Paris (5è).

Plan de table dessiné par Odile Neuburger pour son bal du 2 mai 1937 auquel Hélène était invitée.
On y retrouve les trois soeurs Léauté. Source : Archives familiales | A. Hyafil

[ page 34 | 33 ]

« Après, je suis allée rejoindre Denise chez les Job. Breynaert, elle et François jouaient le trio de Schumann. »

Denise Berr et son fiancé François Job.

Il s’agit peut-être de Jacques Breynaert ( 1915-1998), demeurant probablement au 143, avenue de Suffren, Paris (7è), fils de François Breynaert, 1881-1962, ancien élève de Polytechnique et de l’Ecole des Mines, vice-président de la Compagnie des phosphates et chemins de fers de Gafsa (Tunisie). Jacques Breynaert étudie à H.E.C.

François Job (1918-2006) est le fiancé de Denise Berr (1919-2011), la soeur d’Hélène. Ils se marient le 11 août 1943.

Daniel Schwartz (1917-2009) avec qui Yvonne Berr (1917-2001) s’est mariée le 28 juillet 1939. Lorsqu’Hélène écrit son journal, sa soeur et son beau-frère sont en zone libre, dans le Sud de la France.

Lundi [ 20 avril ]
[ page 35 | 34 ]


« Je suis allée ensuite à la bibliothèque prendre ma permanence. »

Hélène est bibliothécaire bénévole à l’Institut d’Anglais de la Sorbonne.

Nicole Schneider, la cousine d’Hélène, et Denise Berr.

Mardi 21 avril
[ page 36 | 35 ]


Odile Neuburger


Vendredi 24 avril
[page 36 | 36 ]

« Je suis allée déjeuner chez Jean et Claudine, c’est le seul point lumineux de cette semaine. Je suis restée chez eux jusqu’à quatre heures, à jouer du violon. Jean lisait deux chapitres de mon diplôme, jamais il n’a été aussi gentil. Pourtant, il m’intimide un peu, et je sens que je l’intimide. Mais il est merveilleux. »


Jean Schneider (1911-1965) est le frère de Nicole Schneider et donc le cousin germain d’Hélène. Il est médecin.

Claudine née Simon (1911-2013) est sa femme. Ils ont un fils né en 1934, Olivier, dont Hélène et Odile parlent dans leur correspondance. Ils quitteront Paris quand Jean s’engagera dans la Résistance.

« J’ai eu, boulevard du Montparnasse, au milieu de cette foule attablée aux terrasses des cafés, ou circulant bruyamment, une impression de solitude et de cafard horrible. Je ne me suis rattrapée qu’en voyant les arbres magnifiques du Petit-Luxembourg. »

Samedi 25 avril
[ page 37 | 37 ]

6 rue de la Pépinière, Paris (8è).
Menus et brochure du restaurant

Jean Vigué (1913-1984) et Germaine née Nourry (1912-1994). Il sera bibliothécaire au Conservatoire National de Musique ; pianiste soliste titulaire O.R.T.F. ; rédacteur du Que sais-je ? sur la musique hongroise.

Dimanche 26 avril
[ page 37 | 37 ]

« Orchestre : Job, Breynaert et sa soeur, Françoise Masse, Annick Bouteville. »


Il s’agit peut-être de Marguerite Breynaert (1919-1957) demeurant au 143, avenue de Suffren, Paris (7è), fille de François Breynaert, 1881-1962, ancien élève de Polytechnique et de l’Ecole des Mines, vice-président de la Compagnie des phosphates et chemins de fers de Gafsa (Tunisie).

Annick Boutteville*, née en 1924, demeurant au 47, rue de Bellechasse, Paris (7è). Fille de Roger Boutteville (1892-1975), ingénieur des Ponts et Chaussées, PDG de la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques, et de Germaine née Maréchal (1892-1976). Elle épouse Joseph Szilber de Szilberesky (1924-2008) le 31 octobre 1949 à Paris.
*erreur d’orthographe d’Hélène

Lundi 27 avril
[ page 37 | 37 ]

« À la bibliothèque, j’ai revu ce garçon aux yeux gris ; à ma grande surprise, il m’a proposé de venir écouter des disques jeudi ; pendant un quart d’heure, nous avons discuté musique. »

Jean Morawiecki (1920-2008) demeurant 13, rue de la Redoute, Saint-Cloud (Hauts-de- Seine). Etudiant à la Sorbonne dont Hélène tombe amoureuse et à qui elle dédie son journal. Elle l’y désigne sous les initiales J.M. ou le surnom Lancelot du Lac. A partir du 22 septembre 1942, elle s’autorise à écrire Jean.

Il quitte Paris le 26 novembre 1942 pour rejoindre un chantier de jeunesse du Maréchal à Villard-de-Lans, puis à Tarascon dont il part craignant d’être embarqué pour le STO en Allemagne. Il n’arrivera que fin octobre 1943 à Casablanca après avoir été interné au camp de Miranda en Espagne. Hélène arrête son journal deux jours après le départ de Jean pour le chantier de jeunesse et ne le reprend qu’une fois qu’elle le sait libéré du camp espagnol à la mi-octobre 1943.

Une transcription du journal tapée à la machine existait en plusieurs exemplaires dans la famille depuis la fin de la guerre. Toutefois, en 1994, Jean Morawiecki confie le manuscrit original à Mariette Job, nièce d’Hélène, qui en deviendra l’éditrice et le fera publier.

Photo que J. Morawiecki a remise à Mariette Job après la publication du journal d’Hélène
Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job

Claude Lyon-Caen avec ses enfants Arnaud et Dominique pour le concours du plus joli groupe (catégorie « Jeunes mamans et leurs enfants »). Photographie parue dans Le Figaro, 6 décembre 1935.

Claude née Gaston-Mayer (1909-1943) demeurant 3, boulevard Emile-Augier, Paris (16è). Femme de François Lyon-Caen 1905-1944), belle-sœur de Gérard Lyon-Caen. Elle meurt prématurément en janvier 1943 laissant 3 jeunes enfants – Arnaud, Dominique et Pierre – dont s’occuperont ses beaux-parents, Léon et Germaine Lyon-Caen. François Lyon- Caen était avocat au Conseil d’Etat et à la Cours de cassation. Il est arrêté lors de la « rafle des notables » le 21 août 1941 en même temps que son oncle Pierre Masse. Il est déporté par le convoi 59, parti le 2 septembre 1943. Arnaud (1930-2011) sera avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation, Pierre (1939-) avocat général près la Cour de Cassation et membre fondateur du syndicat de la magistrature.

Germaine Lyon-Caen née Masse (1886-1970) est l’épouse de Léon Lyon-Caen, la mère de Gérard ainsi que la sœur du sénateur Pierre Masse et de Roger Masse. Elle recueille sa nièce Françoise Masse après l’arrestation de Roger Masse en août 1941.

Mercredi 29 avril
[ page 39 | 39 ]

Lycée Henri-IV situé au 23, rue Clovis, Paris (5è).

« Et j’ai pensé, avec une espèce de nostalgie, que maintenant s’il était là, je me sentirais le droit d’aller le chercher à la sortie de la Faculté. »

Hélène fait ici référence à Gérard Lyon-Caen.

Jeudi 30 avril
[ page 40 | 40 ]

« Cela me gênait beaucoup d’aller entendre ces disques avec ce garçon totalement inconnu. »

Hélène parle de Jean Morawiecki.

« J’ai trouvé la maison en effervescence. Les amis de Maman venant de partir, Papa de rentrer, Nicole et Denise très excitées, Auntie Ger »

Nicole Schneider et sa mère Germaine qu’Hélène surnomme Auntie Ger. Germaine née Rodrigues-Ely (1885-1966) est la soeur d’Antoinette Berr. Avec Jules Schneider (1872 1966), elle a trois enfants : Jean (1911-1965), Nicole (1922-2019) et Philippe (1918-2011). Ils habitent au 10, rue Raynouard, Paris (16è).

« M. Périlhou est venu dîner ; après, il a essayé mon violon. Nous avons joué, à deux violons, le concerto de Bach et une sonate. »

Il s’agit probablement d’Etienne Périlhou (1887-1978) . Ancien élève de l’Ecole Polytechnique, il est PDG des Mines de Béthune. A la libération, il devient PDG des Etablissements Kuhlmann. Commandeur de la Légion d’Honneur, Commandeur de l’Ordre de la Couronne de Belgique, Croix de guerre 14-18 et 39-45.

MAI

Dimanche [ 3 mai ]
[ page 40 | 40 ]

« Ce matin, je suis allée apporter du lilas à Bonne Maman et à Françoise Masse. »

Bonne Maman est la grand-mère maternelle d’Hélène. Berthe Rodrigues-Ely née Leven (1859-1943) habite chez sa fille Germaine Schneider au 10, rue Raynouard, Paris (16è).

Françoise Masse habite chez M. et Mme Lyon-Caen, qui sont son oncle et sa tante, probablement depuis l’arrestation et l’internement de son père, Roger Masse.

[ page 41 | 40 ]

« Mme Lévy est venue déjeuner. »

Marguerite Lévy née Halff (1894-1982) demeurant tout près des Berr au 2, rue du Maréchal-Harispe, Paris (7è). Son mari, Paul-Louis Lévy (1886-1963), ingénieur au corps des mines, est interné à Compiègne puis à Drancy d’où il sera libéré le 12 octobre 1942. Pendant l’internement de son mari, Mme Lévy a probablement emménagé chez sa mère qui habitait au 5, avenue Elisée-Reclus, à l’étage en-dessous des Berr. M. et Mme Lévy sont les parents de Jacqueline avec laquelle Hélène est allée au cours Boutet-de-Monvel.

[ page 41 | 41 ]

« François n’est pas venu faire de la musique. Annie avait amené un altiste, petit garçon très silencieux, mais gentil. »

François Job

Annie – Il serait logique qu’il s’agisse d’Annick Boutteville qui s’est déjà jointe à l’orchestre le 26 avril. Le manuscrit semble abonder dans ce sens : la dernière lettre paraît être un [c] et l’espace exagéré laissé devant avait pourrait indiquer qu’Hélène n’a pas suffisamment appuyé sa plume lorsqu’elle a tracé le [k] final.

Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

Lundi 4 mai
[ page 42 | 41 ]

J’ai pleuré en rêve

Traduction du poème de Heinrich Heine (1797-1856) Ich hab’ im Traum geweinet par Gérard de Nerval (1808-1855)

J’ai pleuré en rêve
je rêvais que tu étais morte
je m’éveillai, et les larmes coulèrent le long de mes joues.
J’ai pleuré en rêve
je rêvais que tu me quittais
je m’éveillai, et je pleurai amèrement longtemps encore.
J’ai pleuré en rêve
je rêvais que tu m’aimais encore
je m’éveillai, et le torrent de mes larmes coule toujours.

[ page 42 | 42 ]

La scène se passe dans la bibliothèque de l’Institut d’Anglais de la Sorbonne où Hélène travaille.

« Je crois qu’avec Gérard j’aurai manqué tout ce qui doit être si beau, l’éveil, la floraison magnifique, peu à peu, profondément, silencieusement ! »

Gérard Lyon-Caen

Jeudi 7 mai
[ page 42 | 42 ]

Floris Delattre (1880-1950) est professeur à la Sorbonne, spécialiste de littérature anglaise, il est aussi l’auteur d’un ouvrage sur Marcel Proust et Henri Bergson. Bergson est l’oncle de son épouse, Henriette née Eisenchitz, laquelle est également la cousine de l’amie d’Hélène, Odile Neuburger.

« Après le cours, nous sommes allés rue de l’Odéon puis au Luxembourg ; jusqu’à cinq heures, je suis restée assise sur un banc sous les marronniers de la grande allée. Là, il y avait du silence et de l’ombre. En plein soleil, la chaleur était insupportable. »

A l’ombre des arbres du Luxembourg sous l’Occupation.
Photo d’André Zucca.

Samedi soir, 9 mai
[ page 43 | 43 ]

« J’ai dit à Nicole des choses que jamais je n’aurais dû dire. »

Nicole Schneider, sa cousine.

Jeudi 14 mai
[ page 44 | 44 ]


« J’ai fini mon diplôme tant bien que mal. »

Elle a terminé la rédaction de son mémoire sur Shakespeare et l’histoire romaine. En juin 1942, elle obtiendra son diplôme d’Etudes Supérieures de langue et littérature anglaises avec une note de 18/20.


« Le boulevard Saint-Michel était encombré, lui. »

Terrasse du café Capoulade sous l’Occupation, Boulevard Saint-Michel.
Photo prise par André Zucca.



« J’ai rencontré moins d’incrédulité qu’avec Sparkenbroke hier. Il est certainement plus près de moi que Spark.»

C’est André Bay qu’Hélène surnomme Sparkenbroke /Spark. Plus loin, elle l’appellera aussi André Boutelleau du nom de son beau-père, Jacques Boutelleau .

« La Maison des lettres était en principe fermée, mais l’ami de Morawiecki, Molinié, celui de l’autre fois, avait la clé, et nous a accueillis, avec une autre jeune fille qui était déjà là la dernière fois. »

Dans une lettre à Mariette Job, nièce d’Hélène et éditrice de son journal, Jean Morawiecki explique qu’après la guerre, André Molinié, est rentré chez les Bénédictins au Saulchoir, avec Geneviève Losche, la jeune fille qui l’accompagnait le 14 mai 1942.

Mercredi 20 mai
[ page 45 | 45 ]

« Je viens de recevoir la visite de Francine de Jessay. Il y a trois ans que je ne l’ai vue. »

Francine de Jessey* (1921-2014) camarade de classe du cours Boutet de Monvel. Sa famille s’est réfugiée à Limoges, en zone libre. Elle se marie avec le comte Robert de Lasteyrie du Saillant le 23 juillet 1943.

* Jessay (sic) est une erreur de transcription

Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

Jeudi [ 21 mai ], 2 heures
[ page 46 | 46 ]

« Il doit être très sensible, comme Jacques, comme une fille presque ; et je sais l’importance qu’une fille peut attacher à la moindre petite chose. »

Jacques Berr (1922-1998), frère d’Hélène. Pendant la guerre, il continue ses études à Clermont-Ferrand.

« Il n’y avait pas moyen de ne pas le faire, car il m’apportait le Dottin. »

Manuel de philologie anglaise écrit par le linguiste Paul Dottin (1895-1965).

[ page 47 | 47 ]

« Je ne sais pas ce qui m’a pris de lui donner le programme des cours d’interprétation. »

Probablement les cours d’interprétation de Marguerite Long- Jacques Thibaud à la Salle Gavaud.

[ page 47 | 47 ]

Beowulf – Poème de plus de 3 000 vers, conservé dans un unique manuscrit copié aux alentours de l’an 1000. Il reste le seul exemple de geste épique complète rédigée en vieil anglais.

7 heures
[ page 47 | 47 ]

« Artisanat, Bibliothèque américaine, rue de Passy pour des souliers, une paire, etc. »

Une note bas de page dans l’édition Points indique que l’Artisanat est un atelier clandestin de sandales fabriquées au profit de l’Entraide Temporaire, le réseau de bienfaisance auquel les Berr contribuent activement.

« Je suis arrivée chez Bonne Maman à cinq heures. J’y ai trouvé Jean-Paul au salon avec Nicole, cela m’a calmée. »

La grand-mère d’Hélène, Bonne Maman, habite chez les Schneider ce qui explique la présence de Nicole.

Jean-Paul Lefebvre (1921-1982), fils de l’égyptologue Gustave Lefebvre (1879-1957) et étudiant à la Sorbonne. Il est le fiancé de Nicole Schneider. Ils se marient en février 1945.

[ page 47 | 48 ]


« Nicole m’a demandé si j’allais au concert demain, et j’ai réalisé qu’elle y allait »

Concert d’interprétation de Marguerite Long- Jacques Thibaud à la Salle Gavaud.

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« Mais quand je suis rentrée, j’ai trouvé une carte de Vladimir, et une de Jean-Pierre Aron, qui était le comble du grotesque, dans son dramatisme lyrique. »

Vladimir Halperin (1921-1995) demeurant 10, rue Copernic, Paris (16è), fils de Salomon Halperin et Anna née de Gunzburg. Ses parents s’enfuient de Russie en 1917 et s’installent à Wiesbaden (Allemagne) où il naît. La famille s’installe ensuite à Paris en 1923. Ami d’enfance et prétendant d’Hélène qu’elle surnomme Cheval dans ses lettres à Odile. En 1940, la famille part en zone libre avant de s’installer en Suisse en 1943. Historien, directeur de l’ORT mondial dès 1943. Son frère jumeau, Jean (1921-2012) est l’un des derniers penseurs juifs contemporains membres de l’École de pensée juive de Paris.

Jean-Pierre Aron est probablement Jean-Pierre Aron (1920-2018) demeurant au 3, rue Anatole-de-la-Forge, Paris (17è), fils de l’ingénieur des Mines et administrateur de la Société des Forges et aciéries du Nord et de l’Est Alexis Aron (1879-1973). Arrêté en décembre 1941 et interné à Compiègne, ce dernier est libéré sur l’intervention de Jules Aubrun qui préside le Comité d’organisation de la sidérurgie. La famille Aron se réfugie en Savoie jusqu’en 1944.

Vendredi 22 mai
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« L’après-midi a été assez dur à passer ; sans compter que je suis rentrée du mariage de Pierrette Vincent à deux heures et quart et que je me suis trouvée tout endimanchée dans cette journée désorganisée. »

Pierrette Vincent (1921-1989) demeurant au 183, boulevard Saint-Germain, Paris (7è), était une camarade de classe d’Hélène au cours Boutet de Monvel. Le 21 mai 1942, elle épouse Robert Scart (1915-1959).

« Je suis restée au mariage, avec Francine. C’était une sûreté et une garantie contre la bande Lemerle, Viénot et Cie, je me sentais en sécurité. »
Tout comme Francine de Jessey et Pierrette Vincent, Catherine Viénot et Jacqueline Lemerle étaient élèves au cours Boutet de Monvel. Comme on peut le lire dans leur correspondance, Odile Neuburger et Hélène ne supportaient pas ces deux dernières qu’elles surnommaient bouncing females.

Samedi 23 mai
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« Rencontré Jacques Ulmann, Roger Nordmann (celui dont le frère vient d’être fusillé) et Françoise Blum, que j’ai reconnue vaguement, sa fiancée. »

Jacques Ulmann (1917-2011) médecin et résistant. Fils du peintre Louis-Félix Ulmann (1879-1941) qui s’est suicidé après l’attaque de la Russie par les Allemands en juin 1941. Il rencontre Colette Brull (1920-2021) à l’hôpital Rothschild où ils sont tous les deux internes. Jacques passe en zone libre en 1942 pour s’engager dans la Résistance. Colette participe au sauvetage d’enfants juifs hospitalisés à l’hôpital Rothschild aux côtés de Claire Heyman (1902-1997). Son poste étant devenu trop dangereux, elle quitte l’hôpital et s’engage aux côtés de son père au Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), service d’espionnage créé en 1940 par le Général de Gaulle. Le couple Ulmann-Brull se marie en 1947. Colette devient pédiatre et Jacques médecin généraliste.

Léon-Maurice Nordmann

Dimanche [ 24 mai ]
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« Déjeuner à Auber [Aubergenville], avec Job, Jean-Paul et Jacques Monod. Jean-Paul est charmant et pas fatigant à recevoir, Monod est grossier et assommant.»

François Job, fiancé de Denise Berr et Jean-Paul Lefebvre, fiancé de Nicole Schneider.

Dans une lettre à Odile datée du 15 septembre 1936, Hélène fait un dessin la représentant s’ennuyant pendant que son cousin Philippe Schneider joue au bridge avec les frères Monod, Jacques et Robert, et Gilbert Bloch. Source : Archives familiales | A. Hyafil
Denise et Henri Valachman cachés par la famille Monod pendant la guerre

Samedi 30 mai
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William Blake (1757-1827) poète romantique.

Dimanche 31 mai
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« Claudine m’a horrifiée par ses remarques sur hier. Elle trouve Catherine Viénot ravissante, etc. Jean est exactement de l’avis contraire, ce qui m’a fait plaisir. »

Claudine Schneider, femme de Jean Schneider et belle-soeur de Nicole.

Catherine Viénot est l’une des bouncing females qu’Odile Neuburger et Hélène ne supportaient pas au cours Boutet de Monvel. Elle était au mariage de Pierrette Vincent auquel Hélène a assisté le 22 mai 1942.

JUIN

Lundi 1er juin
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Le Matin, 1 juin 1942

Jeudi 4 juin
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Auber est le diminutif qu’Hélène donne à Aubergenville pour faire référence à leur propriété du Vivier.


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J.M. est Jean Morawiecki.

La librairie Didier était située 15, rue Soufflot près de la Sorbonne.

« Je suis rentrée ici pour redescendre déjeuner avec Mme Lévy. Maintenant, je vais chez Mme Jourdan. »


Son mari Paul étant interné au camp de Drancy, Marguerite Lévy vit probablement chez sa mère, Alice Halff, au 3ème étage du 5, avenue Elisée-Réclus (étage en-dessous de celui des Berr).

Hélène Jourdan née Morhange (1888-1961), professeure de violon d’Hélène Berr. Premier prix de violon au Conservatoire de Paris en 1906. Pendant l’occupation, elle partage son temps entre son appartement parisien situé au 19, rue Théodore-de-Banville, Paris (17è) et sa maison située au Hameau du Jardin, Les Mesnuls près de Montfort-l’Amaury. Epouse du peintre Jacques Jean Raoul Jourdan (1880-1916) qui meurt à Verdun en 1916. Dans les années 20, elle rencontre le peintre Luc-Albert Moreau (1882-1948) qu’elle épouse en 1946. Grande violoniste, amie de Ravel qui lui dédie des sonates pour piano et violon, elle crée des œuvres de Satie. Amie de Colette qui préface son livre Ravel et nous paru en 1945 et qui sera son témoin de mariage en 1946. Après que des rhumatismes l’obligent à interrompre sa carrière de virtuose, elle se tourne vers la critique musicale sur les conseils de l’écrivaine. Sa mère, Louise Berr, est une cousine éloignée de Raymond Berr.

Hélène Jourdan entre Maurice Ravel et Ricardo Vines (1923)

Hélène Morhange en 1911

La ligne de bus 92 existe toujours aujourd’hui.

L’insigne est l’étoile jaune.

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« Lorsque Jean est arrivé, Nicole m’a soudain appris tout. J’ai compris pourquoi hier elle était si « abrutie ». J’ai eu un choc. »

Jean Schneider, le cousin d’Hélène et le frère de Nicole. Hélène fait peut-être allusion à la décision prise par Jean de s’engager dans la Résistance.

« Et puis l’agitation, qui rappelait tant celle des 14 et 15 mai 40, a pris la place de la douleur. »

Les 14 et 15 mai 1940 font probablement référence à l’Exode durant lequel la famille Berr a quitté Paris et s’est installée à l’Hôtel de France à Blois. C’est dans cette ville que Maxime Schwartz, le fils d’Yvonne Berr et Daniel Schwartz, a vu le jour le 1er juin 1940.

« À l’Institut, j’ai attendu une heure en bavardant avec Maurice Saur et Paulette Bréant. Les résultats n’ont été publiés qu’à sept heures. J’ai vu arriver Cécile Lehmann, que j’avais cru apercevoir hier en noir. Elle m’a dit bonjour, et avec son beau regard bleu et franc, sans trembler, elle m’a dit que son père était mort au camp de concentration de Pithiviers. »

Maurice Saur (1920-2013), demeurant au 4, avenue Dorian, Paris (12è). Etudiant à l’Institut d’Anglais de la Sorbonne. Il épouse Françoise Niaison, autre camarade de classe d’Hélène, en 1944 et devient professeur d’anglais au lycée Turgot.

Les résultats des examens.

Cécile Lehmann (1921-1943), demeurant au 10, rue Sadi-Carnot, Meaux (Seine-et-Marne), étudiante angliciste à la Sorbonne. Son père, Georges Lehmann (1885-1941) est mort au camp de Pithiviers. Cécile est probalement arrêtée et enfermée à Drancy fin 1942. Dans le camp, elle donne des cours d’anglais aux enfants et aux jeunes interné.e.s. Louise Jacobson, dont parle Patrick Modiano dans Dora Bruder, fait partie de ses élèves. Son frère Michel Lehmann, né en1924, est déporté le 13 février 1943 dans le même convoi 48 que Louise. Cécile est déportée par le convoi 57 parti de Drancy le 18 juillet 1943.

Cécile Lehmann
Georges Lehmann
Infirmerie du camp de Pithiviers (photo prise à l’automne 1941)
Source : Archives Nationales (Rapport d’André Jean-Faure)

Lundi 8 juin
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« Alors, [Françoise] m’a expliqué de sa manière rapide, en détournant les yeux comme elle le fait toujours lorsqu’elle parle de son père, que son père avait probablement été envoyé de Compiègne déblayer une gare bombardée par les Anglais, Cologne. »

Lundi soir
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« J’ai eu beaucoup de courage toute la journée. J’ai porté la tête haute, et j’ai si bien regardé les gens en face qu’ils détournaient les yeux. Mais c’est dur. D’ailleurs, la majorité des gens ne regarde pas. Le plus pénible, c’est de rencontrer d’autres gens qui l’ont. »

Jeunes Parisiennes portant l’étoile jaune.

« Place de la Madeleine, nous avons rencontré M. Simon, qui s’est arrêté et est descendu de bicyclette. »

Il s’agit probablement de Pierre Simon né en 1886 et de sa femme Jeanne née Bernheim en 1893 demeurant au 63, boulevard des Invalides, Paris (7è). Pierre Simon était l’oncle paternel de Claudine Simon. Lors du mariage de celle-ci avec Jean Schneider, le cousin d’Hélène, Pierre Simon et Raymond Berr servent de témoins.

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« Quand tout le monde a eu quitté la bibliothèque, j’ai sorti ma veste et je lui ai montré l’étoile. Mais je ne pouvais pas le regarder en face, je l’ai ôtée et j’ai mis le bouquet tricolore qui la fixait à ma boutonnière. »

Hélène semble avoir fixé l’étoile sur sa veste avec une broche alors que l’ordonnance exigeait que l’étoile soit « solidement cousue ». C’est ce détail qui vaudra à Raymond Berr d’être interné au camp de Drancy quelques semaines plus tard.

Broche « bouquet tricolore » de la période de la guerre



La station de métro Sèvres-Baylone est sur les lignes 10 et 12. La ligne 10 dessert la station Porte-de-Saint- Cloud où descend probablement Jean pour rentrer chez lui.

Paris-Soir, 27 juin 1942

Mardi 9 juin
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« Puis, au métro à l’École militaire (quand je suis descendue, une dame m’a dit : « Bonjour, mademoiselle »), le contrôleur m’a dit : « Dernière voiture. » Alors, c’était vrai le bruit qui avait couru hier. Cela a été comme la brusque réalisation d’un mauvais rêve. »

Le 4 juin 1942, en complément de l’ordonnance exigeant le port de l’étoile, le commandant du Grand Paris ordonne à la CMP (Compagnie de chemin de fer métropolitain de Paris) une mesure « réglementant le transport des Juifs » :

« Les Juifs sont renvoyés sur la dernière voiture de chaque train. »

« Lorsqu’elle a pu me parler seule, elle m’a demandé si je ne craignais pas qu’on m’arrache mon bouquet tricolore, et ensuite elle m’a dit : « Je ne peux pas voir les gens avec ça. » La broche tricolore avec laquelle Hélène attache son étoile.

Jacqueline Niaison* (1920-1988) demeurant au 83, boulevard de la Villette, Paris (10è). Etudiante à l’Institut d’Anglais de la Sorbonne. Elle épouse Maurice Saur (1920-2013) en 1944 et devient professeure d’anglais.

*Niasan (sic) est une erreur de transcription


Marguerite Cazamian (1918-1997) demeurant 11, rue Monticelli, Paris (14è), fille de Louis Cazamian et de Madeleine Louise Antoinette née Clédat,1884-1979. Elle est agrégée d’Anglais en 1940.

Traduction de l’ordonnance du 4 juin 1942
« Transport des Juifs sur le Métro et la ligne de Sceaux »
« Au Luxembourg, nous nous sommes attablées devant des verres de citronnade et d’orangeade. Elles étaient charmantes.»
Jardins du Luxembourg, mai 1942.
Photo d’André Zucca.

Jean-Paul Lefebvre, fiancé de Nicole Schneider.

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Annie Digeon (1922-2003) fille de l’angliciste Aurélien Digeon (1884-1960), sœur de Claude Digeon, étudiante à la Sorbonne. Elle épouse l’angliciste Sylvère Monod (1921-2006), le 9 novembre 1943.

Jean Schneider, le cousin d’Hélène, et sa femme Claudine.

« J. M. a téléphoné ici vers trois heures et demie pour dire qu’il m’attendait à dix heures moins le quart demain matin. »

Le numéro de téléphone des Berr était Segur-1521. Le 3 juillet 1942, une ordonnance allemande interdira aux Juifs d’avoir un téléphone puis d’utiliser une cabine téléphonique.

Mercredi 10 juin
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Le Trocadéro en juillet 1942.
Photo prise par André Zucca.


« Je suis allée au concert du Trocadéro ce matin. Je ne le portais pas. » Hélène ne portait pas l’insigne, l’étoile jaune.

Simone Berr, cousine d’Hélène.

Jeudi 11 juin
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« Nous étions tous les quatre, très gais, peut-être avec le sentiment que nous étions tous ensemble pour une fois, tout ce qui reste ici de la famille. »

Raymond et Antoinette Berr avec leurs filles Denise et Hélène. Leur fils Jacques et leur fille aînée Yvonne sont en zone libre.

« Reçu par le courrier de cinq heures deux cartes de Jacques, une de Vladimir et une de Gérard. »

Jacques Berr, le frère d’Hélène, Vladimir Halperin et Gérard Lyon-Caen.

Anne Léauté (1918-2019) est la soeur de Lisette qui a fréquenté le cours Boutet de Monvel comme Hélène. Elle épouse Jean Guigan, 1917-1992, le 28 décembre 1945.

Vendredi 12 [ juin ]
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« Cet après-midi, Françoise Masse est venue ; nous avons bavardé une heure, puis nous sommes parties pour la salle Gaveau, au cours d’interprétation de Marguerite Long-Jacques Thibaud. »

Programme de la salle du 5 au 19 juin 1942

Dimanche 14 juin
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« Aubergenville avec Simone et Françoise. (…) Nous avons mangé des cerises « galon ». Dit des inepties. Taquiné les unes et les autres au sujet de Jean Pineau et de Jean-Paul. »

Simone Berr et Françoise Masse

Jean-Paul Lefebvre

Lundi soir, 15 juin
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« À la bibliothèque, jusqu’à trois heures j’ai lu Crime et Châtiment, qui maintenant m’empoigne. »

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« (…) il a fini par me dire que, vendredi soir, il avait téléphoné à la maison pour me demander de venir fêter la fin des examens avec Molinié et lui. Bernadette ne m’avait rien dit. »

Bernadette est l’une des domestiques de la famille Berr.

« Nous avons pris le métro, Nicole, Jean-Paul, Suzanne Bénezech, et moi. »

Il s’agit peut-être de Suzanne Benezech (1920-2006) demeurant au 4, rue de l’Amiral-de-Joinville, Neuilly-sur-Seine (92), dont le père ingénieur, Jules Benezech(1891-1971), est l’un des fondateurs de la compagnie Motobécane. Etudiante à la Sorbonne.

« Rue de l’École-de-Médecine, j’ai rencontré Gérard Caillé, qui est rentré avec nous. Il est très beau garçon, mais il le sait. Il fait du charme. »

Il s’agit probablement de Gérard Caillet* (1920-1999) ami d’enfance d’Odile Neuburger et demeurant au 89, rue de Monceau, Paris (8è). Fils d’André Caillet (1892-1973) médecin et Suzanne née Isidor (1892-1975). Il devient historien, traducteur et écrivain. En 1942, il épouse Françoise Landowski, 1917-2002, pianiste et artiste peintre.

Mercredi 17 juin
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« Je suis allée chez Gibert, chez Didier, rue Soufflot, boulevard Saint-Michel. Et en bouquinant, le normal s’est rétabli. »

La librairie Gibert en période de rentrée des classes pendant l’Occupation.

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«Claude Mannheim est mort hier, après deux mois de souffrance. Il ne doit pas y avoir de désespoir plus profond, plus inconsolable que de perdre son mari quand on est jeune. Denise reste avec deux petites filles. Qu’est-ce que la vie va signifier pour elle, maintenant

Claude Mannheim dit Claude Amédée-Mannheim (1907-1942) demeurant à Toulouse, diplômé de Polytechnique (1926), ingénieur des ponts-et-chaussées. Il était marié à Denise née Michel-Lévy, (1918-2006)

Le Figaro, 22 juin 1942

Jeudi 18 juin
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*Methey (sic) est une erreur de transcription. Il s’agit de Mathey

Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

« Pierre Detoeuf est venu à deux heures et demie. Après-midi chez Jean. Mais je n’ai pas vu Jean, ou à peine. D’abord, Denise Sicard est venue. Puis Claudine a voulu me faire jouer. Puis Mme Simon est arrivée, j’ai joué avec elle. »

Il s’agit peut-être de Pierre Detoeuf (1890-1962), diplômé de Polytechnique, ingénieur des ponts et chaussées et futur député sous la IVème République, marié à Marie-Thérèse née Dubourg (1898-1989).

Il s’agit probablement de Cécile Simon née Simon (1881-1970), veuve de Paul Nephtaly Simon (1880-1929), demeurant au 3, avenue Foch, Paris (16è). Mère de Claudine (1911-2013) qui a épousé Jean Schneider, le cousin germain d’Hélène.

[ page 71 | 71 ]

« J’ai oublié mon sac rue de Longchamp. » Les Lyon-Caen et Françoise Masse habitent au 123, rue de Longchamp, Paris (16è)

Samedi 20 juin
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La librairie Galignani, spécialisée en littérature anglo-américaine,
224, rue de Rivoli, Paris (1er)
(Photo de 1937)

Walter de la Mare (1873-1956) écrivain et poète britannique.

Mercredi 24 juin
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« (…) j’avais pris le 92 jusqu’à l’Étoile pour aller à l’Artisanat, et de là je suis allée à la Bibliothèque américaine. Comme je devais rentrer avec Papa, j’ai pensé qu’il était trop tôt et je me suis attardée rue de Téhéran. »

La Bibliothèque Américaine était située au 9, rue de Téhéran, Paris (8è). Durant l’Occupation, elle ne ferma jamais ses portes. Elle était probablement le seul endroit dans l’Europe occupée où l’on pouvait lire librement des livres en anglais. Sa bienfaitrice Mme de Chambrun a raconté ses aventures des années 1940 à 1944 dans le deuxième volume de son autobiographie, Shadows lengthen (New York, Scribners, 1949).


« En arrivant rue de La Baume, j’ai trouvé toute la famille Carpentier debout devant la loge, je leur ai dit bonjour et ils m’ont à peine répondu (…) Haraud m’a suivie, j’ai trouvé un peu drôle qu’il entre avec moi ; mais je me suis ravisée, pensant qu’il avait quelque chose à faire par là. »

Raymond Berr était le Directeur Général des établissements Kuhlmann situés au 11, rue de la Baume, Paris (8è). Les Carpentier étaient les concierges du bâtiment. Haraud était le chauffeur.

Alors que le Statut des Juifs du 3 octobre 1940 excluait Raymond Berr de ses fonctions, un décret individuel, paru au Journal Officiel du 19 avril 1941, stipulait qu’il bénéficiait d’une exception et pouvait exercer sa profession au sein des Ets. Kuhlmann.

« Il me disait d’aller voir M. le Président (…) M. Duchemin s’est levé, j’ai dit : « Qu’est-ce qui se passe ? » René-Paul Duchemin (1875-1953) demeurant au 1, rue de Nevers, Paris (6è), était le Président des Etablissements Kuhlmann.

Lettre laissée par Raymond Berr le jour de son arrestation
Source : Mémorial de la Shoah/fonds Mariette Job

[ page 76 | 75 ]

Louise Orcatberro, née en 1897, domestique des Berr.

Louise sur les registres du recensement de 1936 au 5, avenue Elisée-Reclus
Source : Archives de Paris (D2M8 568 – Gros Caillou – vue 245/444)


« Elle a téléphoné à Auntie Ger.» Germaine Schneider, la soeur d’Antoinette Berr.

« L’inspecteur a affirmé que Papa aurait été relâché si son étoile avait été bien cousue, car l’interrogatoire avenue Foch s’était bien passé. J’ai protesté. Maman aussi ; elle a expliqué qu’elle l’avait installée à l’aide d’agrafes et de pressions pour pouvoir la mettre sur tous les costumes. L’autre a continué d’affirmer que c’était cela qui avait causé l’internement : « Au camp de Drancy, elles sont cousues. » Alors, cela nous a rappelé qu’il allait à Drancy. »

Au 31 bis avenue Foch, Paris (16è) se trouvait l’hôtel particulier de Mme Alexandrine de Rothschild. Sous l’Occupation, il abrite la section de la Gestapo dédiée aux Questions Juives (Sipo-SD, Abteilung IV B: Judenreferat).

Le camp de concentration de Drancy, France, décembre 1942.
Archives Photos de Yad Vashem (2818/24)

[ page 77 | 76 ]

« Maman a téléphoné à Mme Lévy de monter. Lorsqu’elle s’est assise là, et que Maman lui a appris la nouvelle, je ne l’ai pas regardée parce que je pensais que mon regard la gênerait. » Le mari de Mme Lévy, Paul, est déjà interné au camp de Drancy.

Andrée Bardiau, cuisinière des Berr et à qui Hélène a confié son journal pour qu’elle le remette à Jean Morawiecki si quelque chose lui arrivait.

Tiffereau est la pharmacie située rue de Monttessuy, Paris (7è).

[ page 78 | 77 ]

« C’est Haraud qui nous a emmenées toutes les trois. » Haraud est le chauffeur des Ets. Kuhlmann

« Je me suis rappelé une occasion où toute cette beauté m’avait frappée, contrastant avec les circonstances tragiques. C’était le 16 mai 1940, lorsque nous étions allés chercher en toute hâte Mlle Lesieur, le jour de la percée de Laon. »

Référence à la guerre éclair et à l’exode de la population civile en mai 1940. Mlle Lesieur est la sage-femme qui a accompagné Yvonne Berr pour l’accouchement de Maxime né pendant l’exode, à Blois le 1er juin 1940. Elle assistera aussi, clandestinement, Denise Berr pendant l’accouchement de son premier enfant, Nadine, en 1944. Denise restera cachée chez elle jusqu’à la libération de Paris en août de la même année.

Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

« La voiture s’est arrêtée près du marché aux fleurs. »

Marché aux fleurs en 1942.
Photo d’André Zucca.

« À la porte de la Préfecture, un agent nous a arrêtées : Maman a commencé la petite histoire, mais c’était la première fois et cela m’a donné le frisson : « C’est pour voir un interné qui part pour Drancy. On nous a dit d’apporter cela… »

Préfecture de Police au 1, rue de Lutèce (4è) en 1942

« Je revois Papa se rhabillant posément dans la salle. On lui avait d’abord donné la cravate de M. Rosenberg, Papa savait déjà le nom de ses codétenus. » Il s’agit probablement d’Alexandre Rosenberg (1896-1942) demeurant au 11 bis, rue du Bois-de-Boulogne, Paris (16è). Réfugié russe, il est interné à Drancy puis déporté par le convoi 7 du 19 juillet 1942. La ressemblance physique avec Raymond Berr pourrait expliquer l’erreur de l’agent de la Préfecture de Police.

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M. Chillip est le médecin timide dans David Copperfield de Charles Dickens (1812-1870).

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« Puis je suis allée rue Raynouard. » La famille Schneider et Bonne Maman habitent au 10, rue Raynouard.

Vriacos était l’ambassadeur de Grèce.

Vendredi soir, 11 h 15
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« Récemment, je l’ai vu sur les cartes qu’il envoyait à Jacques et Yvonne, et où il parlait surtout d’Aubergenville. »
Jacques et Yvonne Berr, frère et soeur d’Hélène, habitent en zone libre.

Samedi matin, 27 juin
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« Ce matin, Mme Lévy a reçu une carte de son mari qui a laissé le verso à Papa. »

Raymond Berr a retrouvé son ami Paul Lévy à Drancy.

« J’ai téléphoné à Mme Agache pour donner des nouvelles. C’est l’infirmier qui a répondu qu’on ne pouvait pas la déranger parce que cela allait très mal. »

Agnès Agache née Duret ( 1887-1979) demeurant 24, avenue Paul Doumer, Paris (16è), veuve de Donat Agache, (1882-1929) administrateur de la compagnie des chemins de fer du Nord et président des Etablissements Kuhlmann dont Raymond Berr est Vice-Président à partir de 1939. Son fils Edouard meurt le 27 juin, jour même où Hélène a écrit ces lignes dans son journal.

Le Figaro du 10 juillet 1942

7 h 30
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« Nous avons eu à goûter Detoeuf et sa femme, Annick et son cousin Legrand » Il s’agit peut-être de Pierre Detoeuf (1890-1962), diplômé de Polytechnique, ingénieur des ponts et chaussées et futur député sous la IVème République, marié à Marie-Thérèse née Dubourg (1898-1989).

Le couple Yves Legrand (1888-1966) et Alice née Maréchal (1890-1967), dont la sœur a épousé Roger Boutteville, a 6 fils tous diplômés de Polytechnique. En se basant sur l’année de naissance, Hélène fait probablement référence à Michel, 1914-1988, Jean-Claude, 1919-2022, Luc, 1924-2001, ou Gilles, 1926-2016. Dans une lettre du 17 mai 1943 à Odile , Hélène parle de Jean-Claude Legrand comme étant «un garçon charmant».

« Les Legast étaient avec Maman, je suis entrée, je les ai reconduits, je crois que Mme Legast pleurait, car elle ne m’a pas dit au revoir. » Il s’agit probablement de Georges Legast qui, d’après le Journal Officiel du 9 mai 1942, est directeur d’usine à Loos-lez-Lille où se trouve l’usine Kuhlmann.

Lundi 29 juin
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« Je suis allée porter une lettre à Mme Duc chez Thérèse. » Il s’agit peut-être de Mme Duchemin et/ou de Thérèse Weil (1921-2010), amie d’enfance d’Hèlene. Thérèse était dans la même classe que Nicole Schneider au cours du Boutet Monvel. Fille de Georges Weil (1887-1960), polytechnicien (X 1907), PDG de la Compagnie générale de traction sur les voies navigables, et de Renée né Lévy (1892-1950) demeurant 2, avenue Vion Whitcomb (16è). Thérèse et sa soeur Francine ( 1924-2001) sont souvent mentionnées dans la correspondance entre Odile Neuburger et Hélène.

Invitation reçue par Odile Neuburger circa 1936
Source : Archives familiales | A. Hyafil

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Le camp des Tourelles est une ancienne caserne militaire située 141 boulevard Mortier (20e). Pendant l’Occupation, c’est l’un des principaux lieux de détentions parisiens des femmes juives. Le camp de Drancy était réservé aux hommes jusqu’à la rafle du Vél’d’Hiv (mi-juillet 1942).

Rapport de Robert Lebègue, chargé de mission à l’Inspection générale des camps et centres d’internement du territoire, sur le centre des Tourelles
Source : Archives Nationales (F/7/15107, dossier 1a, rapport 1)


« Parmi elles se trouve la fille d’une femme médecin que connaissent à la fois J. M. (elle habite Saint-Cloud) et Françoise. Elle est condamnée aux travaux forcés à perpétuité. »

L’amie de Jean Morawiecki et Françoise Masse est Tamara Isserlis (1918-1942) demeurant au 10, rue de Buzenval, Saint-Cloud. Externe en médecine, elle est tenue de rester à Paris alors que sa famille se réfugie à Nice. Elle est arrêtée le 8 juin 1942. Jean Morawiecki, resté en contact avec la famille Isserlis après la guerre, a expliqué à Mariette Job qu’elle avait été arrêtée après refus de monter dans la dernière voiture du métro comme la loi l’exigeait. Toutefois, le rapport de la Feldgendarmerie daté du 8 juine 1942 stipule que c’est pour avoir porté un ruban tricolore sous son étoile jaune. C’est d’ailleurs l’information que reprend Patrick Modiano dans Dora Bruder (Folio, Gallimard, 1999, p. 116). Tamara est internée aux Tourelles puis à Drancy. Malgré l’intervention du Dr. Robert Debré, son directeur de thèse, elle est déportée le 22 juin 1942 par le convoi 3.

Les Hup étaient les jardiniers au Vivier.

« À la gare, Andrée et son mari, et Louise nous attendaient. Cela avait quelque chose de réconfortant. »

Andrée Bardiau, la cuisinière, et Louise Orcatberro, la domestique, du 5 avenue Elisée-Reclus

JUILLET

Jeudi soir, 2 juillet, 23 h 15
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« Ce qui se passe ? D’abord, juste au moment de nous mettre à table, le coup de téléphone de M. Duchemin. J’ai répondu et passé l’appareil à Maman. Elle parlait avec tant de précision et de calme que j’ai été stupéfaite lorsque après elle nous a dit : « On libérera Papa à condition qu’il s’en aille. »

René-Paul Duchemin, Président des Etablissements Kuhlmann, a négocié la libération de Raymond Berr. A la libération, ses relations avec les autorités allemandes seront critiquées.

« Il reste à sacrifier le sentiment de dignité, à accepter d’aller rejoindre ceux qui sont partis. »

Ceux qui sont partis en zone libre comme Yvonne et Jacques Berr, Odile Neuburger et sa famille.

Vendredi [ 3 juillet ]
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Albus est concierge à la Sorbonne.

« Au premier, Ch.* Delattre faisait passer philologie, j’ai mis ma tête à la porte, je ne savais pas s’il m’avait vue, et je me suis retranchée derrière le battant. »
*Ch. (sic) est une erreur de transcription. Hélène a écrit Mr. Delattre. Floris Delattre est professeur de littérature anglaise. Il est le cousin par alliance d’Odile Neuburger.

Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

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« J’ai bavardé avec Monique Ducret assez longtemps. » Il s’agit peut–être de Monique Ducret, (1917-1990) née au 42 rue Louis-Blanc, Paris (10è) dont le père, Gilbert Ducret, (1874-1956) était employé à la Préfecture de Police.

« J’ai été avec lui chez Landré, salle 1, pour le calmer. » Louis Landré (1898-1972) demeurant au 97, avenue Denfert-Rochereau, Paris (14è). Agrégé d’Anglais et professeur à la Sorbonne.



Sylvère Monod (1921-2006), spécialiste de littérature anglaise, il devient professeur et traducteur de Charles Dickens en français. Annie Digeon (1922-2003) est la fille de l’angliciste Aurélien Digeon et fait ses études à la Sorbonne. Sylvère et elle se marient le 9 novembre 1943.

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Louise et Bernadette sont les domestiques des Berr.

« M. Duchemin – j’ai écouté derrière la porte un instant – est très optimiste, parle avec une importance d’autant plus grande qu’elle a l’air de s’ignorer, de « de Brinon », « qui a été saisi », etc. » Les négociations pour la libération de Raymond Berr continuent. Fernand de Brinon (1885-1947), journaliste et homme politique partisan de la Collaboration, est le représentant du gouvernement de Vichy auprès des autorités allemandes à Paris de 1940 à 1942.

Lettre d’intervention en faveur de R. Berr
envoyée à l’ambassadeur F. de Brinon
.
Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

Fernand de Brinon et Hermann Goering en 1938

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Olivier Debré (1920-1999) étudiant à la Faculté des lettres et aux Beaux-Arts, deviendra un peintre célèbre. Il est le fils du professeur Robert Debré et le frère du futur Premier ministre Michel Debré, tous deux membres de la Résistance.

En 1937, il s’inscrit pour des études d’architecture à l’École des Beaux-Arts de Paris dans l’atelier de son oncle Jacques DebatPonsan, et obtient à la Sorbonne une licence d’histoire en 1942. Il fréquente l’atelier de Le Corbusier.

Sans titre (1945-1947)

Dimanche 4 juillet
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« Aubergenville avec toute la famille Bardiau. »

Andrée Bardiau, son mari François et leur fille Marguerite.

Lundi 5 juillet
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« Ce matin est arrivée la deuxième carte de Papa. Il décrit sa vie, une de ses journées. Elles sont lamentablement vides (…) Puis ils s’occupent du menu du déjeuner. »

Rapport du directeur des affaires économiques et sociales sur l’organisation du camp d’israélites de Drancy
Source : Archives NationalesF/7/15107, dossier 1b, rapport 1)

« (L’autre jour, un M. Muller qui était malade était resté couché pour une fois, dénoncé, et Dannecker lors de sa visite monte droit chez lui, le trouve couché, avec un pyjama trop beau, il le fait déporter, 58 ans.) »

Il s’agit probablement d’Emile Muller (1884-1942), demeurant au 87, avenue Henri-Martin, Paris (16è). Technicien en papier d’après les registres de déportation. Marié à Henriette dite Arlette née Benda en 1886. Celle-ci est décédée le 24 avril 1944 dans la commune des Quatre-Routes (Lot) où elle s’était réfugiée. Emile Muller est déporté de Drancy le 22 juin 1942 par le convoi 3.

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Maurice Weill-Raynal
Eugène Basch en 1941
Jean André Bloch

Mardi matin, 6 juillet
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« Dans La Princesse de Tennyson, le Prince était affligé d’une étrange infirmité : brusquement, le monde devenait fantomatique et perdait sa substance. Je suis comme lui, toute cette histoire est réelle, vivante, je viens de discuter Shakespeare sur une carte à Gérard, je ne faisais guère de question au sujet de notre intimité, je pensais qu’il me connaissait bien, que son intelligence était faite pour comprendre ce que j’écrivais, et brusquement je m’aperçois de ce qui est underlying [sous-jacent]. Et tout devient vide et horrifiant. »

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« Nous sommes allées, Denise, Nicole et moi rue de Téhéran nous faire inscrire à ce patronage (…) Nous sommes munies d’un certificat assez déplaisant. Nicole ne cesse de rager, disant que c’est une concession aux Allemands. Je considère cela comme le prix à payer pour rester ici.»

Certificat de Thérèse Garfunkel (Mme Horwilleur), membre de l’UGIF
Source : Mémorial de la Shoah (CDXXX-43, vue 75/259)
Le Journal officiel de la République française, 2 décembre 1941

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D’après l’ordonnance allemande du 3 juillet, les Juifs n’ont plus le droit de posséder de poste téléphonique ni d’utiliser les cabines téléphoniques. Plus tard dans le journal, nous comprenons qu’Hélène doit téléphoner de chez les Ebrard, ses voisins non-juifs.

Claude Leroy (1919-2019) demeurant 6 bis rue de l’Abbaye, Paris (6è). Fils du célèbre architecte Fernand Leroy (1894-1965) et d’Hélène née Genevoix (1887-1977). Diplômé de l’Ecole Centrale Paris en 1942. Ami d’enfance d’Hélène.

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André Hudelo (1895-1978), chef de clinique ophtalmologique aux Quinze-Vingt.

« Les jumelles ont fini* par s’en aller. Marianne veut et Emmeline ne veut pas. Cela doit être joli. »

Les jumelles Marianne et Emmeline Weill-Raynal, filles de Maurice, qui est interné à Drancy avec Raymond Berr, et de Suzanne, la cousine de ce dernier, vont finir par quitter Paris pour se réfugier en zone libre, à Caluire près de Lyon. Marianne y sera arrêtée avec sa grand-mère, Emmeline, et sa belle-soeur, Edith.

*erreur de transcription

Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

Jeudi 9 juillet
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Giselle Bloch

Giselle Bloch* (1920-2014) demeurant 73, quai d’Orsay, Paris (7è), est la fille de Gilberte née Liewen (1893-1962) et Jean André Bloch qui est interné à Drancy avec Raymond Berr. Elle part avec sa sœur Claude (1924-2016) retrouver leur frère Thierry (1921-1994) à Grenoble. Leur petite sœur Agnès (1928-2006) les rejoint un peu plus tard.

*erreur de transcription : Hélène a bien écrit Giselle au début du paragraphe mais a mal orthographié le prénom quelques lignes plus loin.

Emma Léauté née Tisserand ( 1885-1975) demeurant 1, rue du Maréchal-Harispe, Paris (7è) à quelques pas de la résidence des Berr puis au 5, rue des Ursulines, Paris (5è). elle est la mère d’Anne, Gilberte et Lisette, amies des soeurs Berr.

Il s’agit probablement de Germaine née Desnos (1895-1985), femme d’Etienne Périlhou (1887-1978) qui était ncien élève de l’Ecole Polytechnique et PDG des Mines de Béthune. A la libération, il devient PDG des Etablissements Kuhlmann.

« … il m’écrit que ses projets dépendent de moi. » Il s’agit de Gérard Lyon-Caen.

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« Été chercher les photos et les ai apportées à M. Katz. »

Photo d’identité d’Hélène
Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

Vendredi 10 juillet
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« Nouvelle ordonnance aujourd’hui, pour le métro. (…) Les juifs n’auront plus le droit non plus de traverser les Champs-Élysées. Théâtres et restaurants réservés. La nouvelle est rédigée d’un ton naturel et hypocrite, comme si c’était un fait accompli qu’en France on persécutait les juifs, un fait acquis, reconnu comme une nécessité et un droit. »

Restrictions antisémites dans le métro parisien
Interdiction aux Juifs de fréquenter les lieux publics
Une vente aux enchères à la galerie Charpentier, à Paris, en juin 1944.
 LAPI_Roger Viollet

Samedi 11 juillet
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Legrand est probablement le cousin d’Annick Boutteville dont parle Hélène le 27 juin 1942.

Claude Monsaingeon (1887-1952), demeurant au 5, rue Montfaucon, Paris (6è), infirmière aux Ets Kuhlmann.

Les Simon sont probablement Pierre et Jeanne Simon, demeurant au 63, boulevard des Invalides, Paris (7è), oncle et tante de Claudine Schneider.

Claude Monsaingeon

Lundi 13 juillet
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L’agrégation est un concours de recrutement de professeurs pour l’enseignement secondaire ou supérieur. Les statuts des Juifs ont empêché Hélène de s’inscrire à cet examen national.

Mardi 14 juillet
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Cartes probablement écrites à et reçues de Gérard.

Mercredi 15 juillet, 23 heures
[ page 105 | 104 ]

« Quelque chose se prépare, quelque chose qui sera une tragédie, la tragédie peut-être. M. Simon est arrivé ce soir à dix heures nous prévenir qu’on lui avait parlé d’une rafle pour après-demain, vingt mille personnes. J’ai appris à associer sa personne avec des catastrophes. Journée commencée avec la lecture de l’ordonnance nouvelle chez le cordonnier, terminée ainsi. »

Nous savons maintenant que la tragédie dont Hélène parle est la rafle du Vel’ d’Hiv’ qui a eu lieu les 16 et 17 juillet 1942.

9ème ordonnance du 8 juillet 1942

« Tous nous désapprouvent de rester, silencieusement. Mais lorsque nous abordons la question nous-mêmes, cette désapprobation s’exprime hautement : hier, Mme Lyon- Caen ; aujourd’hui, Margot, Robert, M. Simon. »

Robert Dreyfus (1879-1943) demeurant 10, rue Margueritte, Paris (17è), conseiller à la cour de cassation, frère de Georges Dreyfus et de Suzanne Weill-Raynal, cousin germain de Raymond Berr. Arrêté en décembre 1941 lors de « la rafle des notables », interné au camp de Royallieu à Compiègne et relâché 3 mois plus tard.

Samedi 18 juillet
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« Je reprends ce journal aujourd’hui. Je croyais jeudi que la vie serait arrêtée. Mais elle a continué. Elle a repris. Hier soir, après ma journée de bibliothèque, elle était redevenue si normale que je ne pouvais plus croire à ce qui s’était passé la veille. Depuis hier, elle a changé à nouveau. Quand je suis rentrée tout à l’heure, Maman nous a annoncé qu’il y avait beaucoup d’espoir pour Papa. D’un côté, il y a le retour de Papa. De l’autre, ce départ pour la zone libre. »

D’après les négociations menées auprès des Allemands, Raymond Berr devra quitter Paris et partir en zone libre s’il est libéré.

[ page 105 | 105 ]

« Je rentrais tendue pour la lutte, unie avec les bons contre les mauvais, j’étais allée chez Mme Biéder, cette malheureuse mère de huit enfants dont le mari est déporté ; elle habite le faubourg Saint-Denis. »

Dans le cadre de leurs fonctions à l’UGIF probablement ou de l’Entraide Temporaire, Hélène et Denise sont allées porter assistance à Rousie « Rose » Biéder née Grushow à New- York (1905-1974) demeurant au 9, faubourg Saint-Denis, Paris (10è). Epouse de Joseph Bieder(1899-1942), dentiste, raflé le 12 décembre 1941 lors de la rafle dite des Notables et déporté le 27 mars 1942 par le premier convoi de déportation. Rose reste avec leurs 8 enfants : Sarah (1925-2005), Marie (1926-2004), Paulette (1929-2004), Claude (1930-2008), Renée, Albert (1937-2009) et les jumelles Jacqueline et Evelyne probablement nées en 1941.

[ page 107 | 106 ]

« Dans le métro, j’ai rencontré Mme Baur, toujours superbe. Mais elle était très abattue. Elle ne m’a pas reconnue tout de suite. Elle avait l’air étonnée que nous soyons là. J’ai toujours envie d’être fière lorsque je réponds à cela. Elle m’a dit que nous aurions beaucoup à faire rue de Téhéran. Elle ne m’a pas caché non plus que le tour desFrançaises allait venir. Lorsqu’elle m’a parlé d’Odile, il m’a semblé que c’était infiniment loin. »

Il s’agit soit de la femme d’André Baur (1904-1943), Odette née Pierre-Kahn (1910-1943), soit de sa mère, Rachel née Weill (1869-1951). André était le vice-président de l’U.G.I.F. en zone occupée. Il est l’oncle maternel d’Odile Neuburger et le neveu du grand-rabbin de Paris Julien Weill. Il est déporté le 17 décembre 1943 par le convoi 63 avec sa femme, et leurs quatre enfants Antoine , Myriam, Pierre et Francine.

Référence au siège de l’UGIF, qui se trouve au 19, rue de Téhéran (8è), où Hélène, Denise et leur cousine Nicole sont allées se porter bénévoles.

[ page 108 | 107 ]

« Je veux rester encore, pour connaître à fond ce qui s’est passé cette semaine, je le veux, pour pouvoir prêcher et secouer les indifférents.
En disant cela, je pense au Brand d’Ibsen, que j’ai commencé hier soir. Et en pensant cela, je suis ramenée à J. M. qui me l’a prêté
. »

« … jeudi matin, [Jean] m’a écrit une lettre pour me donner le résultat de sa commission pour Papa. »


Jean Morawiecki voulait savoir si son amie Tamara Isserlis, qui a été arrêtée le 8 juin 1942 , était internée à Drancy avec Raymond Berr. Elle a déjà été déportée le 22 juin 1942 par le convoi 3.

Œuvres complètes. tome septième : Œuvres d’Italie, premier séjour (1864-1869)

[ page 109 | 108 ]

« Mardi, j’ai été complètement divisée et torturée, après lundi, et pendant et après la visite rue de Longchamp. »

Référence à la résidence des Lyon-Caen, donc de Gérard, qui habitent 123, rue de Longchamp (16è).

8 heures du soir
[ page 110 | 109 ]

« Maman vient de téléphoner à Mme Katz. Il y a un départ en masse de Drancy demain matin ; pour nous rassurer : aucun ancien combattant français, seulement des étrangers (combattants inclus), et des femmes. On leur envoie des malheureux enfants de partout, de Belfort, de Montceau-les-Mines. »


Paulette Katz née Francfort (1899-1943) demeurant au 19, bis rue Legendre, Paris (17è), épouse d’Armand Katz qui est le secrétaire général de l’UGIF. Internés à Drancy le 28 novembre 1943, ils sont déportés par le convoi 64 du 7 décembre 1943.

Le gouvernement de Vichy s’oppose en principe à la déportation des anciens combattants français, comme celle des femmes de prisonniers de guerre.

La rafle de Montceau-les-Mines a eu lieu les 12 et 13 juillet 1942. 46 familles juives ont été arrêtées dont 9 enfants sont confiés à l’UGIF. Lire La tragédie des Juifs Montcelliens (1940-1945)

De même, le 11 juillet 1942, le préfet de Belfort reçoit de la préfecture de Dijon un télégramme ordonnant l’arrestation des juifs étrangers qui devront être livrés pour le 15 juillet 1942 à 20 h. 20 Juifs belfortains sont arrêtés. Mina Goldfarb et ses enfants, dont Simon qui est peut-être le petit garçon dont Hélène parle souvent, sont raflés ce jour-là. Les enfants sont confiés à l’UGIF et ont heureusement tous survécu.

« Françoise, qui est venue ce soir, nous a dit qu’au Vél d’Hiv, où on a enfermé des milliers de femmes et d’enfants, il y a des femmes qui accouchent, des enfants qui hurlent, tout cela couchés par terre, gardés par les Allemands. »

Françoise Masse ? Dans sa traduction anglaise, David Bellos spécifie qu’il s’agit de Françoise Bernheim. Toutefois, l’information erronée au sujet de la présence allemande pourrait contredire cette identification. Travaillant à l’UGIF, Françoise Bernheim avait certainement une connaissance plus précise des conditions dans le vélodrome après la rafle.

Le Vélodrome d’Hiver (Vél d’Hiv) est situé 1-19, rue Nélaton (15è), non loin de la Tour Eiffel. Erigé en 1909, il accueille des courses cyclistes, dont les célèbres Six-Jours, mais aussi des meetings politiques.

C’est dans ce lieu de divertissement populaire qu’environ 13.000 victimes de la rafle des 16 et 17 juillet sont internées avant d’être envoyées dans les camps de Drancy, Pithiviers ou Beaune- la-Rolande.

Source : Résistance Polonaise en Saône-et-Loire
Compte-rendu chiffré des arrestations ayant eu lieu entre le 16 et le 20 juillet 1942 (20 juillet 1942)
Source : Préfecture de Police de Paris, BA 1817
Le Vélodrome d’Hiver

Dimanche soir, 19 juillet
[ page 111 | 110 ]

« Eugène B. couché misérablement avec rhumatisme général. » Eugène Basch

« Je suis allée chercher Françoise à neuf heures quinze et nous avons pris le métro ensemble. Il pleuvait à torrents. Elle est si calme et si posée qu’elle vous rafraîchit. Jean nous attendait à Normale.»

Françoise Pineau et son frère Jean Pineau qui les attendait à l’Ecole Normale Supérieure.

Le bachot = le baccalauréat.

« Nous avons enfilé toutes les rues que j’aime, débouché sur la place du Panthéon embrumée, mouillée, mais encore plus attachante.»

Rue Soufflot et le Panthéon
Photo prise en juillet 1942 par André Zucca

« Crussard m’a croisée, à bicyclette. Je ne l’ai reconnu qu’après ; mais il aurait pu descendre. »

Charlie Crussard (1916-2008) demeurant 6, place du Panthéon, Paris (5è). Fils de Louis Crussard (1876-1959), professeur de l’Ecole des Mines de Nancy et vice-président du Conseil Général des Mines, et de Marguerite née Friedel (1890-1982). Soupirant d’Hélène quand ils étaient plus jeunes . Elève de l’Ecole Polytechnique (1935) et ingénieur de recherche à l’école des Mines de Paris (1941-1943), il en devient directeur du centre de recherches métallurgiques de 1943 à 1952.

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« Les ouvriers français refusant de partir pour l’Allemagne, Laval a alors vendu les juifs polonais et russes, pensant que personne ne protesterait. Les ouvriers, révoltés, veulent encore moins partir. »

Départ d’ouvriers français pour l’Allemagne.
Photo prise par André Zucca le 17 juillet 1942.

6 heures
[ page 113 | 112 ]

« Je suis vidée, je ne comprends rien à cette journée. Nous sommes allées après le déjeuner rue Claude-Bernard.(…) Mes méditations ont abouti à la décision d’écrire une lettre à M. Lefschetz. »

Le Centre 19 de l’UGIF est situé rue Claude- Bernard (5è). Il est créé sous l’impulsion de Fernand Musnik (1915-1945) et composé d’un foyer de jeunes et de pré-apprentissage.

Dans sa correspondance à Armand Katz, datée du 22 juillet et mentionnant une correspondance précédente datée du 15 juillet, Emmanuel Lefschetz explique ne pas approuver la délivrance de cartes de légitimation aux soeurs Berr et leur cousine. C’est peut-être cette situation qui a fait dire à Hélène qu’elles avaient « été douchées » et qui l’a poussée à la décision d’écrire au directeur du Foyer des Jeunes de la rue Claude-Bernard.

Emmanuel Lefschetz (1898-1982), (dit Emma) naît à Téhéran de parents russes. La famille s’installe à Paris en 1904, et il poursuit des études commerciales. Grand sportif, spécialisé dans la natation, il adhère au mouvement de jeunesse sioniste Maccabi cherche à combiner les valeurs juives, l’éthique, la formation sur le terrain, le camping et l’activité sportive. C’est lui qui conduit la délégation du mouvement à la 2ème Maccabiade de 1935, en Palestine. Au début de la guerre, il s’engage aux Eclaireurs Israélites de France. En 1941, Musnik lui confie la direction des foyers de la rue Claude-Bernard. Lire le journal de sa fille Denise Weill née Lefschetz

Source : Archives du Centre Marguerite, Yivo Institute for Jewish Research
(MK490_42 | folder 45.1 | view 36/109)

« Mlle Moity m’a dit (…) de la part de Denise Keuchelievitz (sic) qu’elle partait.»

Denise Kouchelevitz* (1922-2007) est la fille de Mordechaï (Max) Kuschlewitz, émigré russe arrivé en France à l’âge de 15 ans, et d’Esther née Mouschkat ((1901-1947). Cette dernière est arrivée d’Ukraine à un très jeune âge et a fait toute sa scolarité à l’école laïque. Denise a un frère Robert (1928- 2023). Le matin du 16 juillet, la fille du concierge de l’immeuble où se trouvait leur boutique de fourrure est venue les avertir que la police était venue pour les arrêter. Dès le lendemain, les deux enfants partent avec leur mère, qui avait acheté la carte d’identité d’une autre concierge, pour la zone libre. Le père, craignant que son accent attire l’attention sur les siens, décide de partir de son côté. Dans ces conditions, il est admirable que Denise ait pris la peine de faire prévenir Hélène de son départ.

Esther et les enfants se réfugient dans un petit village du Gard, Marguerittes, où Denise donne des leçons particulières et travaille à la librairie Calendal de Nîmes. Elle s’inscrit aussi à l’université de Montpellier pour y continuer son cursus d’anglais. Finalement, elle deviendra professeure de Lettres au pensionnat religieux de Bessèges. C’est à Marguerittes que la famille reçoit une carte postale interzone de Max, envoyée du camp de Mérignac, sur laquelle il explique avoir échappé à la rafle du Vél’ d’Hiv mais s’être fait arrêter par les Allemands près de Bordeaux alors qu’il tentait de passer la ligne de démarcation. Le 26 août 1942, il est transféré à Drancy avec 444 autre internés. Une seconde carte postale, écrite par une inconnue ayant croisé Max dans une gare (Bobigny-Drancy ?), leur annonce son départ pour l’Est. Il est déporté le 31 août 1942 par le convoi 36.

Après le débarquement du 6 juin 1944, Esther et les enfants doivent de nouveau fuir par craintes des représailles de la milice nîmoise. Grâce au prêtre de Marguerittes, qui les recommandent à sa soeur, ils trouvent refuge à Peyreleau dans l’Aveyron. Ils ne rentrent à Paris que début 1945 où ils attendront, en vain, le retour de Max et d’une grande partie des membres de la famille paternelle.

Denise se mariera en 1948 à Haïm (Henri) Rosencher (1915-2006) médecin engagé dans la Résistance et survivant de Dachau. Il publiera ses mémoires Le Sel, la Cendre, la Flamme et enregistrera un témoignage en 2003. Ils sont les grands-parents de la journaliste Anne Rosencher.

Robert sera élève de l’Ecole polytechnique (promotion 1949), et de l’Ecole des Mines de Paris. Il prendra le nom de Robert Dautray et deviendra directeur scientifique du commissariat à l’énergie atomique, ancien haut-commissaire à l’énergie atomique. Il publiera le récit de sa vie sous le titre Mémoires : Du Vel’ d’Hiv à la bombe H d’où sont extraites les informations sur leur vie à partir du 16 juillet 1942 ci-dessus. L’annonce de son décès en août 2013 n’est pas largement diffusée, peut-être parce que, selon des témoignages, il avait demandé que l’annonce de son décès soit faite un an après, comme pour son père, mort en déportation.

Ce qu’Hélène ne savait probablement pas le 19 juillet 1942 est que Denise et Robert sont les cousins d’Edouard Wajnryb. Hélène fera la connaissance du petit Doudou, enfant bloqué confié à l’UGIF après la déportation de sa mère Sarah née Kouchelevitz, et en parlera souvent dans son journal et sa correspondance.


Mardi soir, 21 juillet
[ page 114 | 113 ]

« Mme Carpentier a vu jeudi à Drancy deux trains de marchandises où l’on avait entassé, comme des bestiaux, sans même de paille, des femmes et des hommes pour les déporter. »
Les trains ne partent pas directement de Drancy, mais de la gare du Bourget, puis, à partir de juillet 1943, de celle de Bobigny. Les déportés y sont emmenés en autobus.

Mercredi matin, 22 juillet
[ page 115 | 114 ]

Carte de Raymond Berr du 22 juillet recopiée par Denise
Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

« Henri me dit que jusqu’à nouvel ordre, il reste avec Paul. Ceci montre combien urgent succès voyage Hup, car Henri pas rassuré par millésime auquel manque un 1. »

Henri est le prénom utilisé pour désigner Raymond Berr dans la correspondance codée de la famille. Paul est Paul Lévy qui est interné à Drancy avec lui. M. Hup est le jardinier de la propriété du Vivier à Aubergenville. Les convois quittant Drancy pour Auschwitz comportaient en général 1.000 déportés d’abord choisis parmi les Juifs étrangers. Lorsque la liste établie était un peu inférieure à 1.000, il arrivait que les SS rajoutent quelques déportés pris au hasard, notamment parmi les Juifs français. C’est précisément cette situation redoutée que Raymond Berr désigne par « millésime auquel manque un ». Ainsi Raymond Berr essaye-t-il probablement de dire qu’il espère que quelqu’un pourra aller chercher le pardessus marron et sa doublure, demandés plus tôt et qui se trouvent à Aubergenville avec toute la garde-robe d’hiver, craignant que les nouvelles changent de nouveau et qu’il soit déporté.

N.B. Tous les noms codés ont été transmis par Denise Job sous forme de petit lexique à sa fille Mariette.

[ page 116 | 115 ]

« Je suis allée ce matin rue de la Bienfaisance avec Maman porter des choses pour ces malheureux. »

Le siège du service d’assistance sociale de l’UGIF se situe au
29, rue de la Bienfaisance (8è). C’est là que les familles
d’internés pouvaient venir déposer des affaires à leur faire
parvenir. Hélène passera beaucoup de ses journées à
travailler dans ce service auprès de Mme Katz et Mme
Horvilleur.

Thérèse Horvilleur* née Garfunkel (1900-1943) demeurant au 127, rue de Longchamp, Paris (16è). Divorcée de Louis Horvilleur (1896-1950). Mère de Francis Horvilleur né en 1923. Assistante sociale, elle intègre le personnel de l’UGIF en tant que chef du service des internés en charge notamment des enfants isolés.

*Horwilleur (sic) est une erreur d’orthographe d’Hélène

Thérèse Horvilleur

Jeudi 23 juillet
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« D’après ce que j’ai cru comprendre, il y a à Drancy des femmes et des enfants. Tous les jours il en part, déportés. Le Vél d’Hiv a été vidé et tout le monde envoyé à Beaune-la-Rolande.»

Du 19 au 22 juillet, les familles arrêtées lors de la rafle du Vel d’Hiv, surtout des mères et leurs enfants, sont transférées de la gare d’Austerlitz à Pithiviers et Beaune-la-Rolande dans des wagons à bestiaux. En quelques jours, 600 personnes, dont 4.000 enfants, s’entassent dans les baraques.

Compte-rendu des premiers transferts de Paris vers
Pithiviers et Beaune-la-Rolande le 19 juillet 1942.

[ page 117 | 116 ]

« Hier soir, il est arrivé un train entier d’enfants de Bordeaux et de Belfort ; des trains, comme pour des colonies de vacances, mais c’est horrible. »

Rachel Baur née Weill (1869-1951) demeurant 15, rue d’Eylau, Paris (16è), mère d’André Baur, sœur du grand-rabbin de Paris Julien Weill, grand-mère maternelle d’Odile Neuburger. Après la réquisition de son appartement par les Allemands, elle s’est installée chez sa mère, Adèle Weill née Dreyfuss (1847-1944), épouse du rabbin Emmanuel Weill (1841-1925), au 84 rue de Lonchamp, Paris (16è). Après la mort de sa mère le 6 mars 1944, Rachel Baur a rejoint les Neuberger à La Clayette en Saône-et-Loire.

Rachel Baur et sa mère Adèle Weill née Dreyfuss.
Source : Archives familiales | A. Hyafil

Vendredi 24 juillet
[ page 117 | 116 ]

Françoise au début des années 1940.
Source : Archives familiales | F. Findlay

Françoise Bernheim (1912-1943) demeurant 81 rue de Lille, Paris (7è), étudiante, assistante de Sylvia Beach à la librairie Shakespeare and Co. Bénévole à l’U.G.I.F., elle est arrêtée le 30 juillet 1943 à la sortie de l’U.G.I.F. et déportée le 2 septembre 1943 par le convoi 59.

Lundi 27 juillet
[ page 119 | 118 ]


« Paul parle de l’enfer de Dante. Compiègne leur paraît un paradis à côté ! »

Paul Lévy décrit le camp de Royallieu à Compiègne où beaucoup des hommes victimes de la rafle des Notables ont été internés avant d’arriver à Drancy.

Mardi 28 juillet
[ page 120 | 119 ]

Hélène Jourdan-Morhange, professeure de violond’Hélène Berr.

Mercredi 14 heures, 29 juillet
[ page 121 | 120 ]

« Quatre des messieurs de l’UGIF ont été libérés, dont M. Rey, je suis forcée de me rendre à l’évidence. Mais je ne peux me laisser gagner à l’enthousiasme de ces dames, parce que je pense que c’est une injustice, que je pense aux autres qui ont autant, et plus de droits à la liberté. Mais je me suis obligée à avoir l’air content, car elles me trouveraient ingrate. »

Les internés, dont un membre de la famille travaille à l’UGIF, peuvent bénéficier de son statut special et être libérés. La libération probable de son père pour cette raison gêne Hélène.

Joseph Reh* (1883-1966) demeurant au 70, avenue de la République, Paris (11è) est photograveur. Sa femme, Suzanne née Weill (1892- 1983), travaille pour l’UGIF. Il est interné à Drancy et libéré le 28 juillet 1942.

*M. Rey (sic) est une erreur d’orthographe

André Baur est le vice-président de l’U.G.I.F. en zone occupée.

« Je suis allée par devoir chez Mme Lévy lui donner le peu de nouvelles que j’avais pu obtenir par Mme Rey. Sa réaction a été ce que j’attendais, plus amère encore que je ne le croyais ; je la justifiais, et je considérais que c’était presque un reproche personnel. »
Mme Lévy espérait que son mari Paul serait lui aussi libéré.

Au crayon de papier : libéré 28-7-42
Source : Mémorial de la Shoah/Archives nationales de France (FRAN107_F_9_5723_212329_L)

AOUT

Pneu envoyé par Yvonne à Denise. Dans son message codé, Yvonne indique à sa soeur qu’elle ne pourra assister à son mariage pour des raisons de sécurité.

Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job



Jean-Paul Lefebvre, fiancé de Nicole.

Lundi soir, 3 août
[ page 123 | 122 ]

« Il m’a dit qu’il avait rêvé de moi en Eustacia. Eustacia, Egdon Heath, le plateau éventé hier à Aubergenville, le ciel noir aujourd’hui au-dessus de la coupole de l’Institut, les rues mouillées et luisantes, et tout le temps mon bonheur sûr, constant, magnifique ; j’ai presque l’impression d’avoir des ailes. »

Eustacia Vye, qui habite à Egdon Heath, est l’héroïne du roman de Thomas Hardy (1840-1928) The Return of the Native.

Jeudi matin [ 6 août ]
[ page 124 | 123 ]

La lettre est de Jean Morawiecki.

George Meredith (1828-1909) , poète et romancier britannique.

Rue Claude-Bernard se trouve le patronage de l’UGIF dirigé par Emmanuel Lefschetz.

Samedi 8 août
[ page 125 | 124 ]

L’Eternel Mari est un roman de Fiodor Dostoïevski publié en 1870.

Gilberte Léauté

« Les quatre sont sortis, et pas Papa, comme je le pensais. Je ne m’étais guère réjouie. Mais cela a dû être une déception terrible pour lui. »
Quatre internés au camp de Drancy, parmi lesquels Hélène pensait que son père se trouverait, ont été libérés.

Mardi 11 août
[ page 126 | 124 ]

« Hier matin, je ne m’y attendais vraiment pas, encore une lettre ; cette fois-ci toute en anglais, il y avait aussi un edelweiss. »
La lettre est de Jean Morawiecki.

Pont de l’Alma.
Photo prise par André Zucca en 1941-1942

[ page 126 | 125 ]

« Je l’ai raccompagné jusqu’au pont de l’Alma dans un soir doré. En rentrant, j’ai reçu une attrapade de Maman pour ce dernier fait. »

L’ordonnance allemande du 7 février 1942 interdit aux Juifs de sortir de chez eux entre 20 heures et 6 heures. C’est probablement la raison pour laquelle Mme Berr dispute Hélène.

Jeudi 13 août
[ page 127 | 126 ]


« Pas été rue de la Bienfaisance, restée ici à écrire des lettres et à lire. »

Hélène n’est pas allée travailler au service social de l’UGIF situé 29 rue de la Bienfaisance (8è).

Vendredi 14 août
[ page 127 | 126 ]

« Je croyais pourtant que l’astucieuse Lenlen me sortirait de mon trou. » Lenlen est le surnom donné à Hélène par sa famille.

Rapport du 3 août 1942 relatant la réaction des internés à l’annonce de la séparation avec leurs enfants à Beaune-la-Rolande.

« Il parle des spectacles qu’il voit, séparations, départs, abandons de bagages. Odeur pestilentielle. »

Les 30 juillet, 2 et 6 août 1942 à Pithiviers, et les 4 et 6 août 1942 à Beaune-la-Rolande, les familles sont violemment séparées, les adultes et adolescents déportés ; les enfants restent seuls. Dès que l’autorisation de Berlin arrive, le 13 août, les enfants sont transférés au camp de Drancy d’où ils sont déportés seuls.

Samedi 15 août
[ page 128 | 127 ]

Photo de cette journée du 15 août et envoyée par Hélène à Odile Neuburger.
Hélène est à gauche, à côté de Mme Paul Lévy
Sources : Archives Familiales | A. Hyafil

« Après le déjeuner, nous sommes allés nous promener sur le plateau, vers Bazemont. » Bazemont est une commune située à 5 kms d’Aubergenville.

Dimanche 16 août
[ page 128 | 127 ]


« Notre première sortie avec les enfants. Nous sommes allés à Robinson. »

Hélène s’occupe d’enfants confiés à l’UGIF. Ce jour-là, elle les emmène à Robinson, une commune à 6 kms au sud-ouest de Paris.

Vendredi 21 août
[ page 129 | 129 ]

« Rue de la Bienfaisance. J’ai aidé Suzanne à recevoir les gens. C’est lamentable, presque tous se sont fait prendre à la ligne. Cela, c’est la déportation immédiate. »

Beaucoup d’internés juifs ont été arrêtés à la ligne de démarcation alors qu’ils essayaient de passer en zone libre.

Les familles se présentent au service social de l’UGIF rue de la Bienfaisance pour venir récupérer les affaires de leurs parents internés à Drancy.

« Tous les enfants de Beaune ont été ramenés à Drancy pour être probablement déportés. Ils jouent dans la cour, répugnants, couverts de plaies et de poux.»

Samedi 22 août
[ page 130 | 129 ]


« Nous avons appris le chantage ignoble pour Papa. »

Raymond Berr sera libéré moyennant le versement d’une caution par les ets. Kuhlmann.

Dimanche 23 août
[ page 130 | 129 ]

« Après le déjeuner, je leur ai raconté Rikki-Tikki-Tavi. Il y avait un petit cercle. Mes préférés. Herbert écoutait aussi. J’étais très nervous [tendue] au début. Mais, à la fin, j’ai été très heureuse parce qu’un des petits, les yeux encore tout vagues, répétait machinalement : « Encore une, madame, encore une ! » »

Rikki-Tikki-Tavi est un épisode du Livre de la Jungle de Rudyard Kipling (1865-1936).

Lundi 24 août
[ page 131 | 130 ]

« J’ai vu Sparkenbroke. Cela m’a fait un drôle d’effet de le voir arriver. Il était très beau. Mais il m’a semblé qu’il y avait des siècles que je l’avais connu. Lorsque je lui ai demandé ce qu’il devenait, il m’a dit : « Je deviens père. » André Bay est père d’une petite fille, Claire, née le 2 août 1942.

Vendredi 28 août
[ page 131 | 130 ]

Cécile Valensi (1909-1992) angliciste, professeure à la faculté de Droit de Trinity College à Dublin après la guerre.

Samedi 29 août
[ page 132 | 131 ]

Thérèse Schwartz

Thérèse Schwartz née Weill (1905-1943) demeurant au 16, rue de la Tour-d’Auvergne, Paris (9è), épouse de Léon Schwartz (1899-1942). Ce dernier est déporté de Drancy par le 1er convoi à destination d’Auschwitz, le 27 mars 1942. Collègue d’Hélène à l’UGIF, Thérèse est arrêtée avec ses collègues sur son lieu de travail le 30 juillet 1943. Elle est déportée par le convoi 59 parti de Drancy le 2 septembre 1943. Elle laisse deux jeunes enfants, Pierre (1931-2012) et Danielle.

N.B. Ils ne sont pas en famille avec Daniel Schwartz, le mari d’Yvonne Berr

« L’après-midi, par une chaleur lourde et moite, nous sommes allés chez les S., presque une atmosphère d’Aubergenville, parce que Auntie Ger et Oncle Jules étaient là.»

Jules et Germaine Schneider, oncle et tante d’Hélène et parents de Nicole. Ils habitent 10, rue Raynouard (16è).

« Le soir, M. Olléon est resté jusqu’à huit heures. Il m’a raconté l’arrestation des Rosovsky (sic), cette scène m’a hantée, son souvenir m’a hantée. Je voyais cette soirée, avec cet homme et cette femme, des Russes blancs, résignés à être arrêtés, ayant confié un petit garçon à Olléon ; la femme, une blonde ravissante, mais malade et exsangue, étendue sur le divan, les yeux au loin ; l’homme, qu’on essayait de faire boire pour le faire changer d’avis ; et après… Drancy, la déportation, cette femme mourant en route sans doute. »

Tamara, André et Wladimir Rosowsky
Source : Archives familiales | L. Rosowsky


« Nosley est venu après le dîner. L’atmosphère était un peu calmée. »

Maurice Nosley (1915-2015), demeurant au 6, rue des Marronniers, Paris (16è), Polytechnicien (1936), protestant, ami de François Job et Denise Berr. A la demande de cette dernière, il contribue aux efforts de l’Entraide Temporaire en conduisant des enfants juifs dans des familles en Saône-et-Loire et en transmettant l’argent que lui confie Antoinette Berr pour rémunérer les familles d’accueil.

Dimanche 30 août
[ page 132 | 132 ]

Dans le cycle arthurien, Lancelot est soigné par Elaine d’Astolat qui s’éprend de lui et l’appelle Lancelot of the Lake. C’est le surnom qu’Hélène donne ici à Jean Morawiecki.

Lundi 31 août
[ page 133 | 132 ]

« M. André May et sa femme ont été repris. Probablement dénoncés. Lorsqu’ils étaient à la gare. »

André May (1905-1942) et Colette née Baer (1911-1942) demeurant au 50ter rue de Malte, Paris (11è). Ils tiennent une horlogerie-bijouterie située au 15, boulevard Saint-Martin, Paris (3è). Alors qu’ils tentent de passer en zone libre, ils sont dénoncés par le passeur et arrêtés à la gare d’Austerlitz. Colette supplie les agents de relâcher leurs deux jeunes enfants, Jacques et Annette, qui seront confiés à leurs grands-parents. Internés au camp de Pithiviers puis déportés par le convoi 35 parti de Pithiviers, le 21 septembre 1942.

« Papa a vu arriver les Thevenin (sic), cousins des Schwartz qui étaient venus à Auber, au mariage. C’était la seconde fois que Papa les voyait. C’est tragique. »

« Papa a vu arriver les Iliovici »
Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

Il s’agit de Guy Iliovici (1878-1942) né en Roumanie, Chevalier de la Légion d’Honneur, marié à Gabrielle née Trénel (1888-1942), demeurant 12 rue Emile Féguet, Paris (14è). Gabrielle Iliovici est la cousine de Daniel Schwartz, mari d’Yvonne Berr. Le couple et leur fille Nicole née en 1925 sont arrêtés en août 1942. La mère et la fille sont déportées de Drancy par le convoi 35 du 21 septembre 1942. Guy Iliovici est déporté 2 jours plus tard de Beaune-la-Rolande par le convoi 36.

« Et les innombrables Polonais et Polonaises dont les familles viennent rue de la Bienfaisance. Ce matin, il y avait un homme qui parlait à peine, mais qui m’a demandé si on n’avait pas « renvoyé les effets du petit ». Il s’agissait d’un enfant de 4 ans mort au camp de Pithiviers. »

Il s’agit probablement d’Henri Rosenberg, né à Paris le 8 mars 1938. Domicilié au 110, rue de Belleville, Paris (20è). Arrêté avec sa mère Toba dite Rachel Rosenberg (1899-1942) pendant la rafle du Vel d’Hiv, il est interné au camp de Pithiviers le 20 juillet 1942. Il y meurt le lendemain de diphtérie. Sa mère est déportée par le convoi 24 parti de Pithiviers le 26 août 1942.

SEPTEMBRE

Mardi 1er septembre
[ page 133 | 133 ]

« Nous avons fait le grand tour de Paris par le Carrousel, les Champs-Élysées et l’avenue Marceau. »

Le carrousel du Louvre.
Photo d’André Zucca prise pendant la guerre

« J’ai éprouvé un plaisir immense à me promener avenue des Champs-Élysées avec lui. »

Les Champs-Elysées en janvier 1942.
Photo d’André Zucca

Mercredi 2 septembre
[ page 134 | 133 ]

« La sortie avec le groupe de Claude-Bernard que je redoutais s’est très bien passée. Nous étions sept, sous la conduite de Casoar, sympathique. J’étais très contente. J’ai mis une culotte de gymnastique à Casoar. J’étais un peu affolée, mais Nicole a trouvé que cela m’allait fort bien. Nous avons passé la journée à Montmorency, gymnastique, secourisme, jeux et mimage. »

Source : YIVO-Institute for Jewish Research
RG210_serie 6 _63_Daily Reports 1942, 34pp (vues 39-41/45)

Casoar est le pseudonyme de Robert Donoff, 1912-1944. Délégué par les Eclaireurs Israélites de France comme commissaire provincial à Lyon en 1940, il organise des passages clandestins en Espagne et fabrique de faux papiers pour des personnes traquées par la Gestapo. En 1943, il est nommé directeur du bureau de l’UGIF à Chambéry. Sa femme, Nelly née Weyl (1911-1944) , et lui sont arrêtés en janvier 1944, internés à Drancy avant d’être déportés par le convoi 67 du 3 février 1944.

Vendredi 4 septembre
[ page 134 | 133 ]

Le Livre des Louveteaux est un ouvrage pédagogique à la base du louvetisme qu’Hélène lit dans le cadre de sa formation de monitrice pour enfants. Il a été écrit par Baden-Powell en 1916

Samedi 5 septembre
[ page 134 | 134 ]

Un sizenier est le chef d’une sizaine qui est un groupe de six louveteaux.

« Le petit Bernard m’a raconté son histoire, en bégayant avec sa voix enfantine. Sa mère et sa soeur ont été déportées, et il m’a sorti cette phrase qui semblait si vieille dans sa bouche de bébé : «Je suis sûr qu’elles ne reviendront pas vivantes.» Il a l’air d’un ange. »

Il pourrait s’agir de Bernard Tattenbaum (1939-1944), fils de Jankiel (1905-1942) et Sura née Ryndhorn (1903-1942), demeurant au 35, rue des Couronnes, Paris (20è). D’après le recensement de 1936, la famille comptait deux fils aînés. Le père est déporté par le convoi 2 du 10 juillet 1942. La mère a été arrêtée le 16 juillet 1942 et déportée par le convoi 14. Le petit Bernard est confié à l’UGIF. Il fera partie des enfants raflés sur les ordres d’Aloïs Brunner et déportés par le convoi 77 le 31 juillet 1944.

Lundi 7 septembre
[ page 135 | 134 ]

Suzanne Reh* née Weill (1892- 1983), femme de Joseph Reh qui était interné à Drancy et a été libéré le 28 juillet 1942.

*Rey (sic) est une erreur d’orthographe

« C’est un nommé Metzger, Français. Pris avec sa femme et sa fille parce qu’ils n’avaient pas quitté La Baule. La femme et la fille ont été déportées ; lui, resté à Drancy (63 ans), s’est torturé de remords et s’est tranché la carotide. »

Huguette Metzger
Fiche d’internement au nom de Gaston Metzger.
En rouge, la date du décès suit l’expression « DCD » (lire décédé)

[ page 135 | 135 ]

« Vu André Boutelleau, Eileen Griffin, Jenny. Nous sommes partis tous les deux, rue de l’Odéon, puis chez Klincksieck, chez Budé »

André Boutelleau est André Bay (Sparkenbroke). Boutelleau est le nom du second mari de sa mère, l’éditeur Jacques Boutelleau dont le nom de plume était Jacques Chardonne.

Eileen Griffin (1921-2005) fille de Herbert Norris Griffin et Olympe Castagné (1881-1942), demeurant au 65, rue de Lagny, Paris (20ème).

Budé et Klincksieck sont des librairies spécialisées du 6ème arrondissement.

[ page 136 | 135 ]

Jean Olléon (1906-1977) demeurant au 84, boulevard Malesherbes, Paris (8è). Diplômé de l’Ecole des Mines (1926), ingénieur chez Saint-Gobain et membre du Comité de Vigilance et d’Action pour la Protection de l’Enfance Malheureuse. C’est grâce à lui que le petit André Rosowsky, fils d’un de ses employés Wladimir Rosowsky, échappe à la rafle du Vel d’Hiv. Il le confie à son frère, Pierre (1908-1999) et sa belle-sœur Gisèle née Schär en 1906, qui le cachent dans leur appartement parisien avant de le faire passer en zone libre où André retrouve des tantes maternelles à Pau.

Mardi 8 septembre
[ page 136 | 135 ]

Josette Perquel (1917-2011) demeurant au 42, avenue Henri-Martin, Paris (16è). Fille de Jules Perquel, fondateur du journal Le Capital. Sœur de Jacqueline Mesnil-Amar qui a écrit Ceux qui ne dormaient pas : Journal 1944-1946 dans lequel Hélène est mentionnée. Agrégative d’anglais à la Sorbonne.

Madeleine Boudot-Lamotte est la secrétaire de Gaston Gallimard.

[ page 136 | 136 ]

Jacques Chardonne est le nom de plume de Jacques Boutelleau (1884-1968), éditeur à la tête des éditions Stock, ardent pétainiste, accusé de collaborationnisme à la Libération et interdit de publication jusqu’en 1946 lorsqu’il bénéficie d’un non-lieu. Par son second mariage avec l’écrivaine Camille Belguise (1894-1980), il est le beau-père d’André Bay.

Daphne Adeane est un roman de Maurice Baring publié en 1927.

Mercredi 9 septembre
[ page 136 | 136 ]

« Lorsque je suis rentrée de ma journée à Clamart, Denise m’a ouvert la porte en m’annonçant la naissance d’Yves. Je n’ai pas réalisé la nouvelle. Je ne peux pas me représenter le fait qu’il y a un petit bonhomme de plus sur la terre, un fils d’Yvonne. Tout cela se passe si loin de nous. »

Dans sa dernière lettre écrite de Pithiviers le 18 septembre 1942, Maurice Weill-Raynal prend la peine d’envoyer ses félicitations à Antoinette pour la naissance de son petit-fils. Il prend aussi des nouvelles de Raymond Berr qui est toujours interné à Drancy avec Paul Lévy. Dans la première phrase, nous avons la confirmation que ses jumelles, Emmeline et Marianne, ont bien quitté Paris. Maurice est déporté 5 jours plus tard par le convoi 36.
Source : Mémoire des Avocats 39|45

Jeudi 10 septembre
[ page 137 | 136 ]

« Je me rappelle la naissance de Maxime à Blois. J’ai pleuré en le voyant à un quart d’heure. Si je cherchais dans mon journal, je retrouverais la page. Il y a deux ans de cela, déjà, c’est incroyable. »

Je viens de recevoir ta lettre, Mieux-Aimée, et je suis toute rouge d’émotion. J’ai chaud comme lorsque je viens d’avaler un verre de citronnade pas assez sucrée. Il me semble que je viens de vivre avec toi ces heures d’attente. Quelle lettre ! Au commencement, rien que toi et moi, et puis à la fin, un petit être tout neuf sur la terre, qui n’était pas là quand tu as ouvert ton stylo, un nouveau petit Français, un nouveau petit Juif, mais qui est déjà seul de son espèce, qui a ses propres réactions, et qui ne tardera pas à avoir sa propre intelligence, sa propre sensibilité. Que c’est drôle de penser qu’il y a tant d’individus sur la terre, qu’il n’y en a jamais eu, qu’il n’y en aura jamais deux identiques. C’est merveilleux. Je ferais mieux de cesser mes considérations oiseuses. Embrasse Maxime, embrasse Yvonne, embrasse Melle LESIEUR, embrasse-toi. Je n’ose pas écrire à Yvonne, mais dis–lui que j’ai beaucoup pensé à elle ces temps derniers, que je la félicite, et que je suis aussi heureuse que vous tous. J’ai l’impression d’avoir moi aussi un neveu.

[ page 137 | 137 ]

Roger Pironneau (1920-1942), demeurant au 15, rue Vézelay, Paris (8è), fils du médecin pour enfants Pierre Pironneau (1882-1969). Etudiant en Histoire à l’Institut Catholique, il rejoint dès décembre 1940 le réseau Saint-Jacques, premier réseau de renseignement de la France Libre. Arrêté le 18 août 1941 et condamné à mort le 23 mars 1942 par le tribunal militaire allemand à Paris. Fusillé le 29 juillet 1942 au Mont-Valérien.

Vendredi matin 11 septembre
[ page 138 | 138 ]

« Après avoir erré tout l’après-midi (boulevard Saint- Germain, à la Sorbonne, cité Condorcet), je suis allée au Temple pour Rosch-Haschana. Le service était célébré à l’oratoire et salle des Mariages, le Temple ayant été détruit par les doriotistes. C’était lamentable. Pas un jeune. Rien que des vieux, le seul représentant de l’«autre-fois », c’était Mme Baur.»

Article paru dans un journal suisse samedi 4 octobre 1941.

P.S. j’ai récupéré tes lettres. Le Vivier a été libéré, et elles étaient intactes, ainsi qu’un fond de bouteille de Chartreuse offerte par Jean, et sur laquelle j’avais mis une étiquette bilingue en priant les occupants de ne pas boire ce qui restait !

Dimanche 13 septembre
[ page 139 | 139 ]

« Avec trente-cinq enfants à Saint-Cucufa, journée chaude et fatigante. Laure n’était pas là.»

Hélène a emmené des enfants de l’UGIF au bois et à l’étang de Saint-Cucufa qui se situent près de Rueil-Malmaison à environ 20 kms à l’ouest de Paris. Laure est peut-être Laure Wolf dont le nom figure sur la liste du personnel du Centre d’Enfants au 16 rue Lamarck (source : Mémorial de la Shoah, Paris | UGIF_CDXXII-26)

Fradla et Georges Lipmanowicz lors d’une sortie avec les EIF dans le bois de Saint-Cucufa (Hauts-de-Seine)
Source : Mémorial de la Shoah/Coll. Georges Lippe 

Lundi 14 septembre
[ page 140 | 139 ]

« C’est lorsque je ne prévois pas les choses qu’elles sont les plus belles. Toute ma vie, je me souviendrai de cet après-midi, si rempli. Je suis allée avec lui à Saint- Séverin, puis nous avons erré sur les quais, nous nous sommes assis dans le petit jardin qui est derrière Notre-Dame. Il y avait une paix infinie. »

Notre-Dame et les quais.
Photo prise en octobre 1942 par André Zucca

« Mais nous avons été chassés par le gardien, à cause de mon étoile. »

Parc à jeux – Interdit aux Juifs.
Photo prise en novembre 1942

Mardi 15 septembre
[ page 140 | 139 ]

Le cabinet du Dr. Redon est rue de la Chaise (7è).

Mercredi 16 septembre
[ page 140 | 140 ]

« José, une des filles qui vient avec nous, avait peur d’être arrêtée car il est question d’arrêter les Belges. »

Vendredi 18 septembre
[ page 141 | 140 ]

« (Roger était là) » Il s’agit probablement de Roger Maspétiol (1906-1996), mari de Viviane née Berr (1915-1980). Cette dernière est la cousine germaine d’Hélène. Fille de Maxime Berr, mort sur le front en 1917, et soeur de Simone.

« Urgent démarches aboutissent. Les Élyane Hébert [juifs français] commencent à partir. »
Comprendre : il est urgent que les démarches pour le faire libérer aboutissent.

Code utilisé par les Berr dans leur correspondance : Elyane = Juifs | Hébert = français

N.B. Tous les noms codés, ont été transmis par Denise Job sous forme de petit lexique à sa fille Mariette.

[ page 141 | 141 ]

« Le Dr Charles Mayer a été arrêté parce qu’il portait son étoile trop haut… »

Dimanche 20 septembre
[ page 142 | 141 ]

« Prévenez tous les gens qui ont les leurs à Pithiviers d’apporter jusqu’à dix heures demain matin vêtements chauds, etc. » J’ai compris avec horreur, cela voulait dire « déportation en masse de Pithiviers ».


Le convoi 35 quitte en effet la gare de Pithiviers pour Auschwitz le 21 septembre à 6 h 15, avec 1000 Juifs à bord. Le chef du convoi est le Stabsfeldwebel Ringel. Les déportés sont fournis de provisions. Le jour de la déportation, Horst Ahnert, adjoint de Röthke au service des affaires juives de la Sipo-SD à Paris, confirme le départ du train à Eichmann. C’est par ce convoi, entre autres, qu’André May et sa femme Colette mais aussi Gabrielle et Nicole Iliovici sont déportés.

« Ce matin, en partant, le concierge m’avait annoncé qu’à la suite d’un «attentat», toute la population serait punie et ne pourrait sortir aujourd’hui de trois heures à la nuit, cent seize otages ont été fusillés, et il y aura « déportations massives ». C’était donc cela. »

En représailles d’attentats commis à Paris (dont celui du cinéma Rex où périrent trois soldats ennemis), les autorités allemandes décident de fusiller 116 otages. Il n’y en a que 46 à la prison de Romainville. Ils sont fusillés. Bordeaux qui a de la « réserve » fournira les 70 otages complémentaires prélevés à Mérignac et au fort du Hâ. Le compte rendu d’exécution signale une fusillade le 21 septembre par groupe de 10 de 18 heures 12 à 20 heures 20.

Le Matin, 19 septembre 1942

6 heures du soir
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Pierre Masse

« M. R. a décrit à Denise comment cela se passait pour une déportation. On les rase tous, on les parque entre les barbelés, et on les entasse dans les wagons à bestiaux, sans paille, plombés. »

Hélène a écrit Mr. Reh*. Il s’agit donc de Joseph Reh qui a été interné à Drancy avant d’être libéré le 28 juillet 1942.

Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

Voir les étapes de la déportation sur le site de l’ancienne gare de Bobigny

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21 septembre, lundi soir, 11 heures
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Mardi matin 22 septembre
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« Maman était là, c’est à ce moment que j’ai appris le geste final et très beau de M. Duchemin. »

M. Duchemin a payé une rançon et pu négocier que Raymond Berr soit autorisé à être le conseiller technique, commercial et financier des établissements Kuhlmann, à condition de remplir ces fonctions de chez lui, sans contact avec le public. Les Berr n’ont donc plus besoin de quitter Paris comme Hélène le craignait. Sur les fiches des membres de la famille Berr, extraites du fichier du recensement de la Préfecture de la Seine, figure, manuscrite, la mention « Ne pas inquiéter, Ordre du Cap. Dannecker, 23/09/1942 »

Mardi soir, 22 septembre
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Gilberte Bloch

« Tout à l’heure, Mme Jean Bloch était là : nous n’avons pas voulu lui dire, son mari et M. Basch, et les trois cents qui ne sont pas partis de Pithiviers dimanche sont arrivés à Drancy ce matin pour repartir dans le convoi de demain, ils étaient dans les barbelés ce matin. Elle va devenir folle. Elle parle d’une voix machinale, monotone. (…) Lorsqu’elle est repartie, j’ai su qu’elle repartait avec son fardeau de douleur glacée, morne, un désespoir où il n’y a plus une lueur, plus une trace de lutte. »

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« Ce matin encore, j’avais ma vraie conscience normale, lorsque j’ai couru d’abord chez les Franck, ensuite pour Mme Cahen chez K, chercher des lainages pour ses neveux qui vont partir peut-être demain, les porter rue de Chaumont, revenir à l’UGIF travailler. »


Marthe Cahen née Netter (1890-1943), demeurant au 42, rue de Paradis, Paris (10è). Veuve de Gabriel Francfort (1879-1915), mort sur le front, et de Raphaël Cahen (1888-1937). Collègue d’Hélène à l’UGIF, elle est arrêtée le 30 juillet 1943 à la sortie du bureau et déportée le 2 septembre 1943 par le convoi 59. Ses deux neveux, Daniel Bloch né en 1923 et Gilbert Bloch né 1926, sont probablement les neveux auxquels Hélène fait référence ici. Les deux jeunes hommes ont été déportés par le convoi 58.

K. est peut-être Adolphe Katz qui dirige, au siège du Comité de bienfaisance israélite de Paris, le service d’organisation des colis de nourriture destinés aux internés de Drancy. R


Rue Chaumont se trouvait un centre de dépôt de vêtements pour les internés. Le centre sera transféré rue de Belleville à l’été 1943.



Maire, Duchemin, Chevry, Frossard sont tous des collègues de Raymond Berr.

Pierre Chevry

Mercredi soir, 23 septembre
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« Nous sommes tous obsédés par le départ de ce matin. Basch et Jean Bloch sont partis, c’est fini. Cette déportation a quelque chose de bien plus horrible que la première, c’est la fin d’un monde. Que de trous autour de nous ! »

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« J’ai failli perdre mon équilibre aujourd’hui, je me sentais sombrer, arriver au moment où je ne me contrôle plus ; je commence à connaître cette impression. Mais ce n’est pas le moment de m’y laisser aller. Cela m’a pris en revenant de chez André Baur, où nous avions emmené Papa. Il est très pessimiste. »

André Baur accepte fin mai 1941 de prendre la présidence du Comité de coordination des oeuvres de bienfaisance israélites de Paris et du département de la Seine puis, en janvier 1942, la vice-présidence nationale de l’UGIF, en charge du conseil d’administration pour la zone nord. Il est le neveu du grand-rabbin de Paris Julien Weill et l’oncle d’Odile Neuburger, l’amie fidèle d’Hélène.


La première « Maison du prisonnier » est inaugurée à Paris, le 15 décembre 1941. Dans chacun de ces établissements, le personnel est recruté parmi les prisonniers de guerre rapatriés et leurs familles. La Maison du prisonnier est d’abord conçue comme un lieu d’accueil et de renseignements. Solidement implantée au niveau local et national, elle s’est rapidement imposée comme l’un des principaux organismes chargés des prisonniers de guerre.

Lundi 28 septembre
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« Simon est venu goûter. Nous avons joué ensemble. »

Il pourrait s’agir de Simon Goldfarb (1934-2018) fils de Chuma (1900-1939) et Mina née Berg (1903-1942), demeurant au 19, rue Jules Siegfried, Belfort. Il a 6 frères et sœurs : Sarah Léa, née en 1927, Benjamin Mayer, né en 1928, Joseph, né en 1930, Samuel, né en 1933, Simon né en 1934, Berthe, née en 1936 et Louise Elizabeth, née en 1938. Le père meurt dans un accident de la route. L’aîné des enfants est placé à Bergerac dès 1941. La mère est arrêtée le 12 juillet 1942, transférée à Pithiviers avant d’être déportée par le convoi 6 du 16 juillet 1942. Simon et les cinq enfants restants sont confiés à l’UGIF. Tous les enfants ont survécu.

Mardi 29 septembre
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Josette Perquel

OCTOBRE

Jeudi 1er octobre
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« À partir des Invalides, je parlais, comme dans un rêve. Je ne voyais personne dans la rue pourtant animée. »

Pont Alexandre-III et vue des Invalides.
Photo d’André Zucca prise en juillet 1942.

Samedi 3 octobre
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« Nicole et moi avions chacune quatre enfants à promener dans Paris de neuf heures à onze heures. Mon trajet était Palais-Royal-rue Claude-Bernard. Je leur ai montré le Louvre sur toutes ses façades. Je m’enthousiasmais moi-même. »

En tant que monitrices bénévoles de l’UGIF, Hélène et Nicole sont chargées de promener des enfants juifs dits « bloqués » c’est-à-dire sortis officiellement des camps de la zone Nord (Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande, etc), confiés directement par les Allemands à l’UGIF et susceptibles d’être déportés à tout moment.

Rue de Rivoli vers le Louvre
Photo d’André Zucca

Jean Vigué est pianiste soliste.

Dimanche 4 octobre
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« L’après-midi, après une réunion obscure rue Vauquelin, je suis montée ici avec Nicole. Nous avons écouté le quatuor, et j’ai feuilleté mon Stefan George. »

Au 9 rue Vauquelin (5è) se tenait le Séminaire israélite de France. En janvier 1943, un foyer de jeunes filles sous l’égide de l’UGIF s’ouvre à cette même adresse.

Stefan George (1868-1933) poète et traducteur allemand.

Lundi 5 octobre
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« Après, je l’ai raccompagné jusqu’à la gare Saint-Lazare, par les grands boulevards. Il faisait sombre, et les rues étaient pleines de monde. Un bain de vapeur nous enveloppait. »

Gare Saint-Lazare en novembre 1943

« Il m’a donné les disques de La Vie et l’Amour d’une femme. »

Mardi 6 octobre
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« Été chez Delattre à trois heures. Il m’a tout déconseillé, et depuis ma visite, je commence à comprendre qu’il m’a déçue. »

Mercredi 7 octobre
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Lorsque Denise est rentrée, tout le monde s’était caché derrière les rideaux et meubles, sauf Annie, et ils sont sortis ensemble en disant : « Bon anniversaire. »
Il s’agit d’Annie Léauté.

Jeudi 8 octobre
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« Rue Raynouard, Simone à goûter. »

Visite à la famille Schneider et Bonne-Maman rue Raynouard puis Simone Berr est venue goûter.

Dimanche 11
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« Réunion à Lamblardie. On va former une nouvelle meute avec Berthe, Nicole et moi. Mais à midi nous les avons quittés. Les pauvres gosses étaient désolés. »

Jeudi 15 octobre
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« Lorsque je suis rentrée, Louise m’a appris que M. Lévy était rentré. Pour la première fois, j’ai connu quelques instants de joie complète et pure. »

Louise Orcatberro est une domestique des Berr. Paul Lévy est l’ami et voisin de la famille Berr.

« Nous avons marché, le soleil couchant dorait tout le vieux Paris. C’était une très belle soirée d’octobre. Nous nous sommes accoudés sur le quai près du pont des Arts. Tout frémissait, les feuilles des peupliers, et même l’air. »

Le pont des Arts.
Photo d’André Zucca prise en juin 1943

Jeudi
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« Après-midi, été à la bibliothèque voir Cazamian, proposé thèse sur Keats. »

Louis Cazamian professeur de littérature anglaise et spécialiste de Percy Bysshe Shelley (1792-1822).

Dimanche 18 octobre
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« L’après-midi, nous avons fait de la musique avec Job chez les S. Il y avait aussi les jumelles. »

Chez les Schneider rue Raynouard. Les jumelles sont Nicole et Jacqueline Job, soeurs de François.

Lundi 19 octobre
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« J’ai reçu une visite brève d’André Boutelleau »
Il s’agit d’André Bay (Sparkenbroke)

Mardi 20 octobre
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« Nous sommes allés sur les berges de la Seine près du pont des Arts, à côté de deux pêcheurs. »

Berges près du pont des Arts.
Photo d’André Zucca prise en juillet 1942

Jeudi 22 octobre
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« Goûter affolant. Il y avait en même temps, Simon, les Lévy, Mme Roger Lévy, la petite Biéder, les Reh, je ne savais plus où donner de la tête. »

Les Berr recevaient toutes les semaines des enfants, dits bloqués, confiés à l’UGIF. Simon est peut-être Simon Goldfarb (1934-2018).

Les Lévy sont Paul et Marguerite Lévy.


Mme Roger Lévy est probablement Elise Lévy née Seligmann, 1889-1968, épouse de Roger Lévy (1879-1953), demeurant au 128, boulevard Maurice-Barrès à Neuilly-sur-Seine. Mère d’Alain né en 1913, Monique née en 1917 et Francine née 1920 que doivent fréquenter Hélène Berr et Odile Neuburger comme l’indique l’invitation envoyée par Mme Roger A. Lévy à Odile en 1938. Après la guerre, Roger Lévy fait officiellement changer son nom en Lalonde. L’homme politique Brice Lalonde est leur petit-fils.

La petite Biéder est probablement de Simone Biéder, la fille aînée de Rose et Joseph Bieder , dentiste, raflé le 12 décembre 1941 lors de la rafle dite des Notables et déporté le 27 mars 1942 par le premier convoi de déportation. Rose reste avec leurs 8 enfants . Dans son livre Dans les Pas d’Hélène Berr (p.57), Mariette Job cite une lettre qu’Albert Biéder lui a envoyée en 2008 et dans laquelle il explique qu’Antoinette et Raymond Berr ont payé une formation de sténodactylo à Simone et lui ont trouvé un poste aux Ets. Kuhlmann pendant la guerre.

Joseph Reh et sa femme Suzanne. Elle travaille pour l’UGIF. Joseph a été interné à Drancy et libéré le 28 juillet 1942.

Samedi 24 octobre
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« Le matin j’ai couru de la Sorbonne à la rue de Téhéran, où j’ai attendu Nicole, puis Berthe. »

Le siège de l’UGIF est au 19, rue de Téhéran (8è).

S’agit-il de Basia dite Berthe Zysman (1920- 2003) ? Née en Pologne, elle émigre à Paris avec ses parents en 1931. Son père est arrêté pendant la grande rafle du 11ème arrondissement le 20 août 1941 et déporté. Elle entre comme bénévole à la Colonie Scolaire de la rue Amelot, devient la secrétaire de Jacoubovitch et se met au service des enfants. Elle fabrique de faux-papiers et cache des enfants dans des familles d’accueil. Après l’arrestation de David Rapoport le 1er juin 1943, elle rejoint son frère et son maquis à Thonon-les-Bains.

« Je suis allée chercher J. M. à la gare à trois heures. » La gare Saint-Lazare

Dimanche 25 octobre
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« Sortie manquée avec les gosses. Rue Vauquelin. Je ne pensais pas que je serais prise l’après-midi. Lorsque j’ai dû quitter les enfants à midi, j’étais sûre que la journée finirait mal. Il y avait Rechtmann qui traînait dans les couloirs après la scène du matin. »


Il s’agit peut-être de Reichman ou Richeman , ophtalmologiste, président de l’Union des Juifs de Pologne, il travaille à la Colonie Scolaire, puis au Comité Amelot, avant de quitter Paris. Selon une lettre de Jacoubovitch consignée dans les archives du YWO, il aurait averti le Comité Amelot de l’arrivée de Dannecker.

[ page 158 | 158 ]

« Les Poncey étaient là à déjeuner. »

Il s’agit peut-être de Jacques Pomey * (1897-1971), Polytechnicien, ingénieur des Mines, Chef du service des ateliers de traitement thermique puis directeur de laboratoire des usines Renault, et de sa femme Odette née Baille (1902-1999).

*Poncey (sic) est une erreur de transcription

Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job


« Mlle Herbault est venue faire un bridge. »

Probablement Antoinette Herbault, 1900-1994, professeure de piano, répétitrice de Marguerite Long et de Jean Doyen au Conservatoire de Paris.

Mardi 27 octobre
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« J’avais tort de trop me réjouir, car j’ai eu de la peine pour lui, il a été collé. Et pourtant il ne s’y attendait pas. »

Jean n’a pas été reçu à son examen.

« Lorsque je suis allée une première fois à dix heures et demie à la Faculté, il m’a dit de revenir dans trois quarts d’heure. Je suis allée me faire immatriculer, je suis revenue. »
Contrairement à la note de bas de page dans l’édition Tallandier, Hélène n’est pas allée faire apposer la mention « Juive » au tampon rouge sur sa carte d’identité . Cette mesure est instaurée en décembre 1942. Hélène est plus probablement allée obtenir sa carte d’étudiante pour l’année scolaire qui commence dans quelques semaines.

Jeudi 29 octobre
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« Et brusquement, tout s’est déchiré. Il parle tellement de son départ, que je suis arrivée à le redouter. »

Jean est décidé à quitter la métropole pour rejoindre les Forces françaises libres basées en Afrique du Nord.

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« Nous nous sommes quittés dans le métro, à la station Ségur. »

Lignes de métro allant de Ségur à Porte de Saint-Cloud (où habite Jean).

« Je suis rentrée ici, où j’ai joué avec Simon à un puzzle. »

Enfant bloqué confié à l’UGIF qu’Hélène emmène régulièrement chez elle. Il s’agit peut-être de Simon Goldfarb (1934-2018).

NOVEMBRE

Jeudi 5 novembre
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« Été rue de la Banque. »

Commissariat générale aux questions juives (avril 1941).

« Jeudi et vendredi, j’ai été tourmentée par l’histoire de ce coup de téléphone qu’Andrée n’avait pas compris. »

Andrée Bardiau, la cuisinière des Berr.

Dimanche 8 novembre
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« Tout le monde paraît en effervescence. Maman et Papa sont très excités. Je devrais l’être, et je n’y parviens pas. Mon manque d’enthousiasme ne provient pas d’un scepticisme exagéré, mais plutôt d’une incapacité à m’adapter à cette brusque fanfare de nouvelles. »

Le débarquement en Afrique du Nord vues par la presse collaborationniste.

Lundi 9 novembre
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« (…) comme dans un rêve nous avons marché à la nuit tombante à travers le Carrousel, l’avenue de l’Opéra jusqu’à la gare. »
Avenue de l’Opéra pendant l’Occupation.
Photo d’André Zucca

Mardi 10 novembre
[ page 162 | 162 ]

« Nous sommes rentrés à pied par le cours la Reine. Il faisaittrès beau, mais très froid. »
Le Cours-la-Reine. Au fond, le pont Alexandre III et la Tour Eiffel (1925-1930).
Photo de Maurice-Louis Branger 

Mercredi 11 novembre
[ page 162 | 162 ]

« Finalement, il n’est pas parti. Les événements le laissaient prévoir. »

Samedi 14 novembre
[ page 163 | 162 ]

« Nous devions aller à la Madeleine à un concert ensemble. Papa, à la dernière minute, a refusé. »

Concert à la Madeleine le 14 novembre
L’Action française, 14 novembre 1942

Mardi 17 novembre
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« Trois heures, Mme Jourdan, la leçon a duré une heure et demie. Nous avons déchiffré la Première Sonate de Bach et une partie du Treizième Quatuor. »

Hélène Jourdan-Morhange, professeure de violon d’Hélène Berr.

Mercredi 18 novembre
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« Il avait téléphoné à une heure et demie que le train était plus tôt. M. Lévy est monté me le dire et j’ai ri. »

Doit-on comprendre que les Berr n’ont plus de téléphone et que Jean a appelé chez les Levy qui habitent l’étage du dessous ?

Jacques Besse (1921-1999), poète, compositeur, ami de Sartre pour lequel il écrit la musique de scène de sa pièce Les Mouches.

Max Gaetti dirigera plus tard la chorale des Petits Chanteurs de Vincennes.

Vendredi 21 novembre
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« Ensuite chez Galignani acheter un livre pour J. » Jacques Berr

Samedi 22 novembre
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« La matinée a passé comme le vent, j’étais allée rue de Téhéran voir M. Katz au sujet de Cécile Lehmann, et lui apporter un colis. »

Cécile Lehmann a été arrêtée. Elle sera déportée de Drancy par le convoi 57 parti le 18 juillet 1943.

« Après, nous sommes allés écouter des disques. Il est parti un moment rue Montessuy (sic), il a mal lu l’heure. »

Hélène a bien orthographié Monttessuy dans son journal.
Source : Mémorial de la Shoah/ fonds Mariette Job

Lundi 24 novembre
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Françoise de Brunhoff (1918-2010), fille de Jacques de Brunhoff (1888-1973), directeur artistique des FoliesBergères, nièce du créateur de Babar, Jean de Brunhoff (1899-1937), et de Cosette Vogel née de Brunhoff (1886-1964), première rédactrice en chef du magazine Vogue France, cousine de la résistante Marie-Claude Vaillant-Couturier (1912-1996).

Mardi 25 novembre
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« Pot black Tuesday [Mardi d’un noir d’encre], restée ici tout l’après-midi à me débattre dans le J. M. Murry, sombré. »

John Middleton Murry (1889-1957), critique littéraire anglais. Il était l’époux de l’écrivaine Katherine Mansfield (1888-1923). Hélène a probablement lu le journal de cette dernière que Murry a publié en 1927 :


La version française du journal est publiée en 1932 par les éditions Stock dirigées par Jacques Boutelleau
Katherine Mansfield

Mercredi 26 novembre
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« Été à la Sorbonne me faire inscrire. »

Hélène s’est probablement inscrite en Doctorat.

Jeudi 27 novembre
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« Simon à déjeuner. Il est resté jusqu’à cinq heures et demie ; quand je suis rentrée de chez Mme Jourdan, il était encore là. »
« Enfant bloqué » confié à l’UGIF et que les Berr semblent accueillir tous les jeudis. Il s’agit peut-être de Simon Goldfarb.

Vendredi 27 novembre
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« En rentrant de chez Nadine D., j’ai trouvé une carte de Jean, écrite dans le train mercredi. »
Nadine Desouches (1910-1989), pianiste, élève de Nadia Boulanger, professeure de piano chez qui Hélène prend des cours de musique d’ensemble.

Samedi 28 novembre
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« Après-midi à la bibliothèque de la Sorbonne, pour copier un article pour Jacques. » Jacques Berr